1001 Vies (591) : Le Déluge et Darius Chopineau (11)
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Darius ne s’apaise que dans la pensée de Candice. C’est alors de bon cœur qu’il attend la mort, elle l’allègera, le simplifiera, il lui présentera ce corps dont il ne sait plus quoi faire, le lui remettra, s’en déchargera.
Il n’aura pas vécu sans amour, finalement. Il a confiance. Mourir est une idée. Une bonne idée. À bien y réfléchir, Darius veut bien.
Il y réfléchit avec intensité. Il aime beaucoup réfléchir avec intensité, cela donne de l’importance et l’impression que la vie a un sens.
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À cela près qu’il préférerait d’abord se donner à Alzheimer, aussi mélodramatique que cela soit, mais au fond de son cœur n’est-on pas farouchement mélodramatique?
Lui, l'ami des mots, il oublierait ses mots, lui, le monsieur Loyal du grand cirque des événements de sa vie, il les égarera : peu à peu cette mort par la mémoire, ce décès dans l'oubli ne manqueront pas d'intérêt, ce serait en somme du bon sens, les souvenirs lui manqueront, si peu de souvenirs aimables, cette dissolution l'attire, cette solution, il ne se verra pas mourir.
Les mots lui manquant, les mots lui manquant pour dire l’amour, les mots lui manquant Candice ne lui manquera plus, elle viendrait à passer devant son banc en haut du boulevard Victor Hugo, à côté de Robert rangé dans son box d’arceaux, il la regarderait avec curiosité, sans émotion, sans passion, sans joie, peut-être transverbéré par une peur vague et sans cause discernable.
Ce serait sa faute, sa faute à elle, sa plus grande faute à cette inconnue toute blonde, à force, à force, à force de l’oublier il finirait par s’oublier lui-même, fatale imprudence, mais qu’y aurait-il tant à oublier à part Darius Chopineau ?
– Alzheimer mon amour !
[à suivre]