Chronique du rat (32) Apprivoiser un écrivain

L’Éditeur a réussi à attraper son écrivain. C’est très bien.

Deux cas de figure.

Il a du succès : l’écrivain sanglote de bonheur sur l’épaule de son Éditeur.

Il n’a aucun lecteur : l’écrivain sanglote de désespoir sur l’épaule de son Éditeur.

Quoi qu’il en soit, l’Éditeur a toujours sa chemise mouillée – c’est son destin – et il en veut beaucoup à son écrivain. Ou un peu moins.

En cas de succès l’écrivain a tendance à s’endormir, caché dans sa maisonnette. Le devoir de l’Éditeur est de resserrer les liens. L’enfermer dans une cave en banlieue sensible, l’enchaîner à son ordi (sans Internet), le nourrir exclusivement de café et d’amphétamines. Plus de papouilles. Lui pourrir la vie. Ce n’est pas gentil mais efficace. Seule l’efficacité intéresse son maître.

Une fois l’écrivain enfermé dans son labyrinthe intérieur, il n’a d’autres solutions que de trouver la sortie. Et par la grande porte, s’iouplait ! Le portique ! L’œuvre majeure et très rentable ! Il ne connaît pas personnellement Ariane mais il a un fil à lui : sa phrase. Il la dévide avec quelque chose d’une lugubre araignée, sans cesse, au petit bonheur la chance, et la chance le sert.

En bon rat, il finira par la trouver, cette sortie. Où l’attend l’Éditeur. Et alors, c’est le luxe ! Toutes les sorties ! Les grands hôtels ! Les réceptions ! Les femmes ! La télé ! L’Éditeur n’est pas un miteux : il soigne ses auteurs. Il les nourrit bien, il soigne les petits coussinets fragiles à leurs doigts qui tapotent, tapotent, tapotent. Il va même jusqu’à changer leur litière : il supervise les divorces douloureux qui inspireront de si beaux romans, humaines et modernes.

Et puis il finit par aimer pour de vrai son écrivain. Tant de temps à l’élever – en batterie ou au grain – ne peut tout à faire se perdre. Il va même jusqu’à comprendre la bête. Louable effort. Il ne va pas jusqu’à l’inviter chez lui, malgré les reproches de son épouse. Ce doux idiot serait capable de faire pipi partout.