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Publié par Michel Castanier

La Vie au cimetière 10

 

LOLA VERDIER

– Merci d’être venu !

– Merci de m’avoir invité !

– Cesse de faire l’idiot.

Berk sur le perron de la chapelle mortuaire des VERDIER continue im­pertur­ba­ble­ment de se frap­per la poitrine avec les poings.

– C’est la joie.

LOLA VERDIER est venue gaiement à la porte lui ou­vrir, mais, quand il entra à sa suite il dut saluer trois inconnus qui se tenaient ali­gnés contre le mur, embarrassés, graves et tris­tes. Berk était à peine assis, un bol de lait dans la main pour ré­conforter son trouble, qu’on se salua, et ces hommes par­tirent.

La pluie tam­bourina à pleins doigts les vitraux. Un peu de lune était apparue, malgré l’averse, et ses rayons, passant sous le plafond des nuages noirs, illuminaient d’une clarté brillante et froide l’intérieur de la tombe vide, engourdie sous une sorte de brume.

– Moi aussi, dit Berk.

– Pardon ?

– Moi aussi, je t’aime.

– Il ne faut pas m’aimer, dit Lola, très contente.

La lumière lunaire flattait les dorures, les cuivres, la cire du cer­cueil et les couleurs vermeilles aux joues ron­des de la jeune hôtesse.

Elle n’eut pas de plaisir.

Au retour de Berk le lendemain soir, trois au­tres hom­mes patientaient, les mains croi­sées sur le ventre ou dans le dos, couverts de poussière, compas­sés, cérémonieu­x. On se salua, et ils s’en allèrent.

Lola n’eut aucun plaisir.

Le lendemain soir, ils étaient le même nombre d’hommes à at­tendre, et qui ne mon­traient pas une moindre compassion. Les jours suivants, Berk n’arriva ja­mais sans trouver trois de ces im­muables gar­çons, fort corrects, qui for­maient avec lui une entente grave, effarée, cordiale.

Le septième jour, comme il n’était pas venu de la nuit, elle lui rendit visite dans son tombeau d’où il ne daigna pas se lever, ne s’expliqua même pas, couché sur le bras gauche, une dame à ses côtés.

– Je le savais ! Je le savais !

Il de­meura cou­ché, la dalle contre son cœur.

Lola s’en alla, pous­sant devant elle comme des pe­tits poussins les trois hom­mes qui l’avaient attendue devant le mausolée et pour lesquels elle avait des at­ten­tions de mère. Ils l’accompagnent à sa tombe dans une petite aube mo­rose, très tei­gneuse.

Le cimetière s’obs­curcit malgré l’aube et se cra­quelle sous la pres­sion du feuillage. Des toits de chapelle ploient in­termina­blement et som­brent soudain, co­lon­nes pliées comme des genoux.

 

 

EDMOND ROUSSEL

 

 

Le cercueil d'EDMOND ROUSSEL – du sapin massif et long, impeccablement ciré, avec une croix de fer ouvragée et une intention arrogante dans ses lignes – est placé dans une niche étroite, entourée d'un coquet mobilier de salon. La bière n’a pas été vissée, il n’y a pas d’emplacements à cet ef­fet dans le couvercle, mais il n’en est pas besoin, grâce à la lourde chaîne aux maillons solides : l’ensemble des fers as­sujettit le coffre ciré et ne permet pas d’en sortir.

Une fenêtre étroite est pratiquée à la tête du couvercle.

– Drôle d’invention mais ça s’est fait autrefois, dit Hegel, autrefois ce n’est pas hier et pour­tant le bois est neuf. L’idée revient à la mode.   

Les morts se penchent pour regarder par la vitre de l’imposte.

– Il est des nôtres ?

– Non, il fait le mort. Je l’ai entendu se gratter tout à l’heure. C’est un rusé. 

Le fossoyeur a une main posée sur le cercueil, pianotant le bois, comme indécis. Il la retira vivement quand le sapin se mit à rire. Hegel oubliait trop facilement qu’il y avait parfois des êtres encore en vie.

– Savez-vous que mon épouse m’a enterré avec mes pantou­fles ? Son ménage ! Ses balais ! Ses   serpillières ! Sa cire ! Comme elle a été copieusement insipide quand, plus fami­lière, rassurée par cette vie quotidienne entre nous, elle a su s’exprimer mieux ! Son papa, sa maman, son boulot, ses idées conventionnelles, ses vieux bobos sentimentaux,  toute cette intériorité, d’abord pleine de replis, lovée comme un gros serpent – l’ancien Mystère ! – quand ça se dépliait, qu’elle était emmerdante !   

– Roussel exagère son malheur, confia le fossoyeur en aparté. C’est curieux comme les gens abusent de leurs souf­frances pour se rendre intéressants.

– Savez-vous, messieurs-dames, que nous sommes appe­lés, dès le plus jeune âge, à faire de la figuration dans ce qu’il faut bien appeler – restons circonspects – l’hallucina­tion  féminine ?

L’homme fut saisi d’une gaieté tapageuse, donnant des coups de poing joyeux dans le bois du cercueil, content de ce bon mot qu’il répéta souvent : l’hallucination fémi­nine. Il se divertit beaucoup, d'une voix à présent forte qui sonnait entre les parois de bois.

– Dans l’esprit de leur femme les hommes vont de ca­ri­cature de voyou en fantôme de père. Je n’ai pas voulu pren­dre la place du mort !  

Un petit bruit de pas au-de­hors avait précédé l’épouse, étouffé comme si elle portait des chaus­sons. La face du mari glissa sous la vitre, régressant au fond du cercueil comme par une trappe.

Les morts s’en allèrent sans être remarqués par la femme de Roussel, qui avait dans les mains un ar­rosoir et des outils de jar­dinage.

Elle balaie déjà à petits coups secs, précis, dos courbé, ramassant les feuilles mortes et les débris de végétation dans une pelle de plastique jaune, puis astiquant, cirant par ci par là, époussetant la vitre du cercueil du bout d’un plumeau.

Elle coupe au sécateur des fleurs abîmées par le mildiou et elle marmonne, elle en­fonce ses doigts gantés dans la terre pour y arracher le désordre des racines de la mauvaise herbe et elle marmonne.

Son chapeau de paille lui fait une cagoule d’ombre sur le visage.

 

 

 

CECILE

 

André Bergon, son vi­lain petit parapluie jaune sous le coude, s’enfonça dans l’ombre froide des ar­ches de l’Allée de la Visita­tion. L’homme a des bras trop longs au bout de quoi ses mains sont maigres et dé­sa­gréablement velues sur le dos des doigts, mais c’est le seul re­proche que ses amis soient tentés de lui faire. Il rêve continuellement qu’il est éveillé, ce qui est épuisant. Ses pen­sées sont molles comme des pantoufles.

Les Tours bougent dans le ciel où le vent, in­sensible à la hau­teur d’André, poussait de plus en plus vite les nuages mê­lés de pluie, fuyant hors de la ville, emportant à jamais la voix de CECILE BERGON ces jours-là.

Ai dû trop parler, ou trop pleurer, sais pas. Suis per­due.

Que ne dirait-il s’il avait sa petite fille auprès de lui ? André anticipait des re­trouvailles où elle pardonnait, il la re­merciait de bien vouloir tout oublier.

Suis brouillonne, tu sais, et tout et tout.

Une bourrasque af­fola les arbres devant la sépulture de la Jeune Fille en blanc, son ceri­sier et son puits. Après une ronde rapide par les ar­cades, elle tourna sur la division 77 en fouet­tant la végétation à présent dé­mente autour de la margelle. Le puits – mas­qué dans l’exubérance du lierre – dé­gorgeait une eau pu­tride glou­glou­tant sur sa livrée de vé­géta­tion.

Quelques grê­lons toquèrent à la poulie rouillée.

C’est très vrai.

André regarde son ombre avec chagrin, avec effroi : elle tient tout l’espace entre deux co­lonnes du péristyle – comme une présence en attente, une menace contenue. Le cimetière est silencieux, à part un bre­douil­lis de feuilles conti­nuel, ner­veux, rapide. La brise, peut-être.

Ainsi que dans ces dessins où les contours d’un être sont figurés à même les cir­convolu­tions d’un tapis persan, le vi­sage de Cécile se distingua dans l’expansion du lierre au­tour du puits.

Il ne faut pas m’aimer.

Une feuille de cerisier tomba et re­cou­vrit comme un gant la main pâle d’André. L’oxydation touche le visage de Cécile dans le feuillage, un jaunisse­ment fa­tal, une ané­mie es­sen­tielle dans l’étiolement des cou­leurs.

Pas comme ça.

Elle se replie, pli après pli, à la façon d’un délicat petit para­pluie de dame dans sa gaine.

 

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