La Geste du potager (15)
Bientôt les bons mamelons du petit maître grossirent : très exaltés, ils noyèrent leurs paquets de cigarettes dans un baquet, comme si c’était une portée de chatons.
A nouveau confiante, de bonne humeur, elle cherchait un nom pour son enfant. Il proposait Roland, Galaad, Bayard ou Arthur. Bertille était dédaigneuse. Elle aimait Auguste, Alexandre, César ou Soliman.
– Si c’est une fille, disait-il, ce sera Myrtille, Clémentine ou Eglantine.
– Ce ne sera pas une fille.
Le perce-neige avait fleuri contre les murs des pavillons hospitaliers et sa blancheur fut l’ambassadeur de la neige qui dans la matinée de la Noël étouffa le parc.
Des bénévoles furent mis à contribution dans une joyeuse cohue de pelles et de cris pour déblayer le seuil des pavillons psychiatriques.
Annie, en compagnie du cercle de ses amies, boit son thé chaud avec des applications de chatte.
Bernadette, l’ergothérapeute, est très inquiète…
– Myrtille ? Eglantine ? Clémentine ? Hou la la, ce serait une erreur. Je n’aime pas l’idée que des parents donnent un nom de nourriture à leur enfant. Vous en serez d’accord ?
Un frisson parcourt le quatre-heures.
Le chasse-neige devant l‘autocar longeait les champs blancs avec ses grosses moustaches de neige.
Arthur était à l’arrière du convoi, le cœur emmitouflé, feuilletant le journal local. Après que le quotidien se fut répandu sur ces précipitations surabondantes et les catastrophes qui s’ensuivaient – une extravagance qui augurait mal du siècle – le scandale de la statue de l’Andalouse poursuivait ses péripéties.
À l’arrivée de l’autocar, l’Etude est déserte. La véranda luit sous les rayons lunaires. Le jardin est émaillé de cloches translucides, de tuiles, de paillages, de bouts de poterie multicolores qui réchauffent les semis sous la neige.
Flattant la nuque du Gros Chien, Arthur écoute, très impressionné, les poules sangloter dans le poulailler, ce qui ne leur est pas habituel. Il y trouve Bertille assise sur ses œufs brisés, grelottante, l’ourlet de sa chemise de nuit remonté sur les yeux pour y cacher ses larmes…
– Si ça continue, j'irai sur une aire d'autoroute me donner à des routiers !
Ils passèrent les fêtes du réveillon à regarder au lit, avec entêtement, un animateur de télévision fardé, réjoui, aux yeux fanés, rire éperdument, accoudé à un piano rose.
Le jardin respirait au-delà des vitres. Les chemises de nuit de Bertille, enflées par le vent, le cœur gros, s’alignaient aux fils de nylon le long de l’eau.
– Est-ce bien la peine, Arthur ? Mon ventre est gonflé. J’attends mes règles.
– Tu sais que ça ne me gêne pas.
– Tu devrais en être gêné.
– Ceci dit, l’apex de la patate est totipotent. Capable de se reproduire seule, chacune de ses cellules possède un programme génétique qui, par divisions successives, aboutit à la création d’un individu complet.
– Tu me fatigues, Arthur.
Il alla, sa pelle à la main pour dégager les allées, faire de longs circuits pensifs dans la neige autour du pommier foudroyé – hiéroglyphe noir comme de l’encre au bord de la rivière.
Arthur était parfois l’ennemi du petit maître. Il se faisait des réflexions acerbes à son sujet. Il consultait des livres de philosophie cruels mais toniques. Il crut même ne plus aimer Bertille ce jour-là. Il se donna du bon temps.
Près d’une haie, sous un hellébore, se trouvaient des empreintes d’oiseaux, de campagnols et de chats – et, signes d’une grande querelle, trois gouttes de sang dans la neige, qu’Arthur contempla longuement, appuyé sur le manche de sa pelle.
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