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Publié par Michel Castanier

La Geste du potager (15)

Bientôt les bons mamelons du petit maître grossi­rent : très exaltés, ils noyèrent leurs paquets de cigarettes dans un ba­quet, comme si c’était une portée de chatons.

A nouveau confiante, de bonne humeur, elle cher­chait un nom pour son enfant. Il proposait Roland, Galaad, Bayard ou Arthur. Bertille était dédaigneuse. Elle aimait Auguste, Alexandre, César ou Soliman.

– Si c’est une fille, disait-il, ce sera Myrtille, Clémen­tine ou Eglantine.

– Ce ne sera pas une fille.

Le perce-neige avait fleuri contre les murs des pavil­lons hos­pitaliers et sa blancheur fut l’ambassadeur de la neige qui dans la matinée de la Noël étouffa le parc.

Des bé­névoles fu­rent mis à contribution dans une joyeuse co­hue de pelles et de cris pour dé­blayer le seuil des pa­villons psy­chiatri­ques.

Annie, en compagnie du cercle de ses amies, boit son thé chaud avec des applica­tions de chatte.

Bernadette, l’ergothérapeute, est très in­quiète…

– Myrtille ? Eglantine ? Clémentine ? Hou la la, ce se­rait une erreur. Je n’aime pas l’idée que des parents don­nent un nom de nourriture à leur enfant. Vous en se­rez d’accord ?

Un frisson parcourt le quatre-heures.

Le chasse-neige devant l‘autocar longeait les champs blancs avec ses grosses moustaches de neige.

Arthur était à l’arrière du convoi, le cœur em­mitouflé, feuille­tant le journal local. Après que le quotidien se fut ré­pandu sur ces précipita­tions sura­bondantes et les catas­trophes qui s’ensuivaient – une extravagance qui augu­rait mal du siècle – le scandale de la statue de l’Andalouse poursui­vait ses pé­ripé­ties.

À l’arrivée de l’autocar, l’Etude est déserte. La vé­randa luit sous les rayons lunaires. Le jardin est émaillé de cloches tran­slucides, de tuiles, de paillages, de bouts de poterie multi­co­lores qui réchauffent les semis sous la neige.

Flattant la nuque du Gros Chien, Arthur écoute, très im­pres­sionné, les poules sangloter dans le poulailler, ce qui ne leur est pas habituel. Il y trouve Bertille assise sur ses œufs bri­sés, grelot­tante, l’ourlet de sa chemise de nuit re­monté sur les yeux pour y ca­cher ses larmes…

– Si ça continue, j'irai sur une aire d'auto­route me don­ner à des routiers !

Ils passèrent les fêtes du réveillon à regarder au lit, avec entê­tement, un animateur de télévision fardé, ré­joui, aux yeux fa­nés, rire éperdument, accoudé à un piano rose.

Le jar­din respirait au-delà des vitres. Les che­mises de nuit de Bertille, enflées par le vent, le cœur gros, s’alignaient aux fils de nylon le long de l’eau.

– Est-ce bien la peine, Arthur ? Mon ventre est gon­flé. J’attends mes règles.

– Tu sais que ça ne me gêne pas.

– Tu devrais en être gêné.

– Ceci dit, l’apex de la patate est totipotent. Ca­pable de se re­produire seule, chacune de ses cellules possède un pro­gramme génétique qui, par divisions successives, abou­tit à la création d’un individu complet.

– Tu me fatigues, Arthur.

Il alla, sa pelle à la main pour dé­ga­ger les allées, faire de longs circuits pen­sifs dans la neige autour du pom­mier fou­droyé – hiéroglyphe noir comme de l’encre au bord de la ri­vière.

Arthur était parfois l’ennemi du petit maître. Il se fai­sait des ré­flexions acerbes à son sujet. Il consultait des li­vres de philo­sophie cruels mais toniques. Il crut même ne plus ai­mer Bertille ce jour-là. Il se don­na du bon temps.

Près d’une haie, sous un hellébore, se trou­vaient des em­preintes d’oiseaux, de campagnols et de chats – et, si­gnes d’une grande querelle, trois gouttes de sang dans la neige, qu’Arthur contem­pla longuement, appuyé sur le manche de sa pelle.

#conte #comédie dramatique ‪#‎série littéraire

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