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Publié par Michel Castanier

Hopper

 

 

Intimité

 

Nous passons ici bien des échanges qui n’appartiennent qu’à eux. L’action y est infinitési­male. Un lecteur moderne ne s’y retrouverait pas. Il est temps de lais­ser les amants seuls. Ils parlent pour cha­cun d’entre nous. Ils parlent en nous.

 

Aujourd’hui.

 

ELLE – Souvenez-vous: j'avais mille questions à vous poser et je n'en ai plus aucune, tant il me semble que les ré­ponses viendront si naturellement.

Il me prend quelquefois l'envie de tout vous raconter de moi (cela viendra, bien sûr) avec une urgence qui me sur­prend.

Comprenez-vous ?

LUI – Oui, sans doute il faudra y venir, bien que je ne crois pas que ce soit nos vies respec­tives qui nous intéressent, la mienne en tout cas ne m’intéresse pas, mais plutôt la fine pointe du présent : ce qui nous arrive et qui semble si – juste.

Nous vivons un cas exemplaire d’Amours imaginaires. Ce n’est pas nouveau, tous les amours sont imaginaires, mais à ce point d’inconcrétude (accordez-moi le mot, il décrit la chose), c’est du neuf. Ou du rare. Et pourquoi, d’ailleurs, ne se­rait-ce pas aussi concret, aussi vrai et aussi tendre que si nous nous te­nions la main ?

ELLE – Votre vie m'intéresse. Vous m'intéressez. En­tiè­re­ment et dans tous les temps ou les espaces.

Le mot Amours m'a fait un drôle d'effet. Je me deman­dais qui de nous deux l'emploierait en premier. J'aurais eu trop peur de l'écrire et que vous me preniez pour une folle. Et si ça n'est pas vraiment l'amour, ça y ressemble.

Pour vous dire à quel point ma rationalité est mise à l'épreuve, le mot âme sœur m'a effleuré l'esprit.

LUI – J’avais très peur de votre réponse. Je me mets à avoir peur de vos ré­ponses ! Notez que j’ai employé le mot de façon la plus impersonnelle possible, infinie prudence !

J'espère que vous ne regrettez pas déjà ce que vous avez ajouté et qui me touche tant. Notre attention aux mots est un des secrets qui nous rend chers l'un à l'autre. Un autre de ces secrets est sans doute que nous essayons par là même d'être le plus exacts possible.

De toute façon nous devons être un peu fous, délicate­ment fous, mais c'est ce que je trouve de plus joyeux à vivre. Par ail­leurs, nous allons vers une épreuve que nous franchi­rons d'un pas allègre, je l'espère, ma douce Emma. Le tu­toiement entre nous serait un affleurement plus in­time, une sorte de baiser près de la bouche. Une indiscrétion. Il va nous venir. Je n'ai pas en­core ce courage et me sens bien ri­dicule.

ELLE – Au risque de passer encore une fois pour une imbé­cile heureuse, je sais avec certi­tude que ce pivot gram­matical trouvera naturellement sa place dans nos échanges. Et il ne me semble pas incongru de poser un baiser léger au coin de tes lèvres, plutôt qu'au coin des vôtres. Ce n'est pas une question de courage, très délicat Michel.

Plus j'écris ce prénom et plus sa douce sonorité me plaît. À nous deux, nous sommes une al­litération en m.

 

Allons, je ne peux m’empêcher de me mêler de ce qui ne me regarde plus. Je les aime tant, ces deux-là ! Leur ju­bila­tion, leur insouciance et leur grand souci l’un de l’autre, leur naïveté. Comme ils se croyaient à l’instant l’un à l’autre !

A-t-elle oublié l’ombre portée qui se tenait dans son dos ? Dans ces moments-là oui, elle n’était qu’à moi. Elle se don­nait.

LUI – Vrai ! Tu ne peux savoir comme tu m’amuses et m’attendris. Je suis heureux et fier de te connaître.

Je jure ne l'avoir pas fait exprès !

ELLE – Le vois-tu, le sourire ?

LUI – Merveilleusement, mon ange (Allons bon ! voilà les anges qui débar­quent), eh bien oui, mon ange, car je m’apaise en toi.

ELLE – J'aime beaucoup ce mon ange. C'est tendre et lé­ger. Très doux, ar­change.

Tu es le plus gradé de nous deux. Évidemment.

 

Quelle diable d’idée se font les amants du monde angé­lique ?

Savent-ils que les anges sont en-dessous des hommes dans la hiérarchie cé­leste ? Aux hommes est donnée la li­berté qui les rend supérieurs à tout ce qui est créé. La liberté de ne pas faire le mal, paradoxale conquête.

Mais je deviens sentencieux quand je suis ému.

ELLE – Mais voici venue l'heure de me coucher...

LUI – Je te relirai demain pas­sionnément et puis plus lente­ment (tu aimes cet adverbe) je te feuillèterai.

Note qu’en bon gentilhomme j’attends toujours que tu me dises qu’on va se coucher.

Dors bien, Emma ma joie de vivre.

ELLE – Douce nuit, archange de mes jours.

 

C’est vrai qu’ils parlent tous seuls, ces enfants. Ils n’ont au­cun besoin de nous. Ils ne sont plus de ce monde puisqu’ils sont heureux.

J’aime leur innocente gravité et, de fait, ils sont cet en­fant qui discute avec son Copain ima­ginaire. Avec abon­dance. Avec sérieux. En personne déjà respon­sable.

Car ils sont responsables l’un de l’autre. Du plaisir qu’ils se donnent. Des es­poirs qu’ils par­tagent. Du mal qu’ils ris­quent de se faire.

 

 

 

[à suivre]

 

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