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Publié par Michel Castanier

José Manuel Ballester

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Coïtus interrumptus

 

 J’aborde ici aux Terres du chagrin, où nous n’aurions ja­mais dû accoster.

Le fil des mots entre nous céda. Emma redescendit du ciel à toute allure par une échelle de corde. Je restais un temps sus­pendu en l’air. Elle se garda de prêter attention au bruit de ma chute dans la sciure de la piste.

Il me faut bien du courage pour repasser par nos pas de fu­nambules sur le chanvre enivrant de la corde.

 

Grande soirée théâtrale.

 

LUI – Nous nous écrivons bien, mon amour, c'est notre don mutuel. Un beau cadeau, en ef­fet, que nous nous faisons. Je ne connaissais pas, cela ne pouvait ve­nir que de toi, et si je revis nos échanges depuis le début, cette pente l'un vers l'autre d'abord à pas comptés et puis de plus en plus précipi­tés, je vais tourner mystique, et parler de prédestination.

Mais non, cela ne peut être, c'est un univers fabuleux que nous nous créons parce que nos es­prits sont étrangement proches.

Et c'est aussi, tu as raison, une tension terrible ce désir. Il n'y a peut-être de vrai en ce monde que le désir, mon Emma.

Bonne soirée théâtrale, donc, je ne sais pas trop ce que je vais faire et me lan­guis d'avance de toi.

 

Il n’y a jamais eu de mystère entre eux, pas de masques, pas d’énigme et donc pas de clé. Le mystère ordinaire, ce sont les contingences, les particularités d’une histoire, le mari, les en­fants, les liaisons. Les valises étaient ouvertes, les fenêtres, les draps.

Leur beau voyage l’un vers l’autre avait été instan­tané, ils étaient immédiate­ment l’un à l’autre dans une com­plétude qui était une idée de l’éternité. La sépa­ration entre eux n’était ins­crite nulle part, elle s’est ouverte d’ailleurs, d’un lieu qui n’était pas le leur, d’une fracture au ciel, d’un éclair de glace, la so­ciété, l’ordre, la morale, la culpabilité, le refus de vivre. Le doigt de Dieu, le doigt sale d’un Dieu incompris, mal vécu, mal aimé.

ELLE – Pense à moi. Rêve de moi. Écris-moi comme tu me fais l'amour. En­core et encore et encore. 

J'ai envie de toi et de tes mots. Ceux que tu écris et ceux que tu me diras en mordillant mon oreille, me pénétrant toute en­tière. 

LUI – Penser à toi ? Ce sera te prendre de toutes les façons dont un homme aimant peut prendre une femme aimée : je vais être bru­tal et doux, je vais tourner autour de toi sans cesse, je vais te tourner et retourner, je vais tirer sur ta chère rousseur à pleins doigts jusqu'à ce que tu me supplies, je vais te mordre la nuque comme un chien, je vais être à genoux de­vant ton ventre pour le lécher comme l'assoiffé de toi que je suis, je vais être à genoux devant tes fesses pour les adorer, les écarter, les sentir, les pé­nétrer, je vais imaginer le pire, je vais imaginer le meil­leur, je vais t'ima­giner et puis je tombe­rai saoul de toi comme un co­chon dans un sommeil de brute triste.

À part ça, tout de même rassures-toi, je suis gai comme un pinson à l'idée de te connaître et que tu m'aimes.

ELLE – Pour les cheveux et les morsures, je ne suis pas trop partante. Pour le reste, oui.

LUI – Mon amour, tu m'émeus tellement, tu réponds si sé­rieusement à mes folies, j'adore ta réaction et le « pas trop », n’aies aucun souci, ma petite institu­trice, je ne suis pas si fou. Je ne ferai jamais que ce que tu aimes, ce qui compte c'est toi, ton plaisir, ton plaisir est mon plaisir, c'est aimer.

 

Elle était si ingénue, sa Rock and Roll, elle avait répondu comme s’il lui donnait une liste à cocher. Cette naïveté mêlée de confiance l’étourdissait – et puis un érotisme aussi absurde : ce qu’il y aurait à cocher sur son corps et qu’elle accor­dait !

Notre vie est fragile. Ne nous prenons pas au tragique. Amu­sons-nous. Le plaisir est plus sûr que le bonheur. Jouissons de nous-même. Avec délicatesse.

ELLE – Début de la pièce à 19h30.

Je cherche involontairement ton visage dans la foule...

Ecris mon amour. Écris.

LUI – Je suis tout proche, derrière toi, comme par hasard (dernière saillie !), je t'aime, tu m'amuses, tu m'attendris, tu me rends fou, tu es aujourd'hui ce que j'ai plus précieux au monde.

Dis-moi un petit mot à l'entracte, si tu peux, un petit mot de désir et d'amour fou.

Un mot comme nous aimons.

Je connais très bien ton état c'est le mien.

 

C’est la première fois qu’il connaît l’esprit d’une femme avant de connaître son corps, une expérience éblouissante parce que c’est elle. L’amant en est bou­leversé, il vit là une expé­rience majeure – en toute rationalité. Il découvre cette grande perversion : être excité par la forme (les formes) d’un esprit.

Cet affolement des mots entre eux, cette « physique des mots » qui donne à jouir ? L’amant osait l’extravagance des corps glorieux chers aux chrétiens ou, plus humblement, une intimité qui allègerait la Loi dans les champs numériques.

C’est en tout cas ce qu’il se dit dans sa folie.

De source bien informée, ce n’est jamais qu’un nouveau cas de sapiophilie. Une excitation sexuelle pour l’intelligence de l’autre. Pour les formes de son esprit. Affection bénigne et qui amuse beaucoup le monde sa­vant.

ELLE – Il n'y avait pas d'entracte.

J'ai eu du mal à me concentrer avec cette sensation brû­lante de te vouloir au creux de moi.

LUI – Mon cher amour, comme j'aimerais le remplir, ton creux, peut-être le combler. Touche-toi pour moi, ma petite Emma, je veux être là, dans tes doigts, dans ta douce chatte, dans ta chair mouillée. Je voudrais entendre ton essouffle­ment, je voudrais écouter tes gémisse­ments, je voudrais voir ton re­gard se perdre dans mon regard. Je te veux.

ELLE – Tu seras ma main, mon tendre, et je serai la tienne.

Je suis insatiable de toi.

LUI – Tu me guideras dans ton plaisir, ma douce, je serai attentif, nous parle­rons passion­nément au-dessus de nos corps et parlerons de nos corps, de la moindre de nos sensa­tions. Tu es ma fièvre, tu es un vertige.

ELLE – Tu es déjà sur chaque centimètre carré de ma peau, dans chacun de mes frissons quand je te lis, dans cha­cun de mes gémissements étouffés quand Lacan se fait trop pressant.

Je veux te goûter, mon tout doux, chaque parcelle de toi sera mon territoire de jeu.

LUI – Pardonne-moi, ma chérie, je reçois à l'instant quel­qu'un. Quelqu'un qui pleure et qui a besoin que je l'écoute.

Ne t'inquiète pas, il me peine de te laisser mais je t'aime de toute la profondeur de mon cœur. Oh, je suis désolé. Dé­solé.

 

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8

 

Post coïtum

 


 

Aujourd’hui.

 

ELLE – La frustration est mauvaise conseillère.

C’est lui qui m’a prise. Qui a récolté ce que tu avais semé.

LUI – Tu es injuste, brutale, agressive, sadique.

ELLE – Peut-être. 

Salut. 
 

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(à suivre)

 

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