Le Monde flottant III : Tout ce que je sais d'Emma – épisode 37 En résumé
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En résumé
Que fut-elle pour moi, ma maîtresse d’école ? Impulsive ? Irraisonnée ? Fantasque ? Capricieuse ? Elle sera aussi passionnée dans sa rupture qu’elle l’a été dans son élan vers moi. Ses mots la disaient tout entière et c’est toute entière qu’elle m’aura quitté.
LUI – Je ne te crois pas plus capable que moi de laisser toute cette émotion suspendue dans le vide.
ELLE – Je t'explique que notre histoire était en train de me perdre, de me bouffer.
Je te demande de ne plus m'écrire. Au moins pendant un temps.
S'il te plait.
En effet. Elle est entière. L’amant ne comprend pas qu’elle a remis en cause sa vie pour lui. Ce sera tout lui ou rien – et certainement pas une relation clandestine dans des hôtels. Elle a d’eux et d’elle-même une bien trop haute idée.
Voilà qui nous change. Elle n’a pas tort. Et c’est pourquoi elle lui fut si précieuse.
Ils se cherchent alors dans les chambres et les antichambres de leur passion et ne se trouvent plus. Si l’un est là, l’autre est ici, et si l’autre est ici, l’autre est là, et ils ne sont plus que l’un et l’autre. Ils s’aiment mais ils souffrent et, s’ils souffrent, ils ne s’aiment plus. Ils n’ont plus la joie démesurée qui ferait sauter la chambre nuptiale et les filles d’Emma et le mari avec et les rendrait l’un à l’autre dans un même amour.
Si on prête l’oreille, on entendra encore quelques murmures. De moins en moins. Ce n’est que convulsions, par places, par moments, par anneaux : ce monstre marin qu’il faut repousser à coups de pied, cette menace rieuse qu’il faut étouffer, noyer dans son eau.
L’amant expliquait (il écrivait comme on balbutie, terrorisé) que, bien sûr, l'expression jambes en l'air l’avait tant attristé, mais à nouveau elle avait fait preuve d’un sens du mot si juste. Son s’il te plait – cette douce supplique où elle disait sa faiblesse – l’avait bouleversé.
ELLE – Bon. Je veux bien assumer le rôle de la méchante sorcière.
Mais si je résume :
Tu me demandes de rester amis.
Je te demande du temps.
Tu m'envoies des lettres auxquelles je réponds de la façon la plus neutre possible, parce que c'est difficile de passer du registre amoureux au registre amical.
Tu me demandes de redevenir ton amoureuse.
Je te demande du temps.
Tu dis que tu m'as perdue.
Je dis d'accord, parce que je ne veux pas te donner de faux espoirs et que je préfère trancher dans le vif plutôt que de laisser la situation en suspens.
Non, je ne proteste pas parce que je te l'ai dit : je ne sais pas.
Je comprends tout à fait ta déception.
Elle raisonnait, elle se remettait à raisonner. Petit a petit b petit c – les habitudes de son métier d’institutrice l’aidaient à reprendre le dessus. À recouvrer son cher contrôle. La longue stupéfaction qu’avait été cette liaison absurde passait. L’infidélité était ridicule. L’amant une ombre bavarde – une sorte d’ivrogne. Assez imbu de lui-même, en plus. Elle l’avait échappé belle : tant donner pour si peu.
Et moi-même ?
Je n’ai jamais écrit que pour l’amante, et pour cette amante-là, au plus loin que je remonte, et même si je n’en ai d’abord rien su. Je ne pensais pas être un jour à ce point pris au mot quand j’avançais qu’on écrit par amour et peut-être pour être aimé.
A qui écrire aujourd’hui ? J’avais une parole pour chacun quand je parlais pour elle dans les feuilletons de mon blog. Madame Bovary ne s’est jamais ennuyée avec moi – jusqu’au bout. Jusqu’à nos derniers jours. Nous étions notre secours contre ce qui accable est lourd est pauvre en joies en beautés. Je traîne mon veuvage lamentable alors que la morte guillerette gambade dans les ossements de sa vie. Inconsolable misère.
ELLE – Je renonce à mentir, tricher, et me sentir si mal de le faire pour la première fois, après 23 ans de fidélité.
Elle est parfaite. Parfaite.
(à suivre)