2 de couple sans barreur : Le Champion local de marche à pied – 6
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Ce n’est qu’un répit ; Gisèle est attirée à reculons, son élan printanier rétrograde avec une vitesse terrifiante, ses yeux se ternissent, et s’affaisse le bel élan de cette chair hors de la décomposition.
– C’est de la pierre, salope ! hurle-t-elle, l’esprit désuni par la souffrance physique, en frappant du poing le traversin que Zoé tente d’attendrir par petites touches, à petites caresses.
Elle insulte sa fille, elle essaie de la battre, ne lui pardonne pas sa belle santé. Une fois elle prétend voir ses parties génitales, pour vérifier si elles ne sont pas irritées, si les lèvres n’ont pas gonflé.
– Montre-moi tes genoux, petite pute.
Et elle hurle si ces genoux sont écorchés.
Elle finit par perdre sous elle, et ne reconnaît plus sa fille ou l’appelle Maman.
Lorsque Zoé est seule pendant la veillée funéraire, elle tire le coussin où est appuyée la nuque maternelle, puis, attrapant la tête froide, elle la secoue interminablement.
– Tu n’es jamais là ! Jamais !
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Une formation de corneilles, agitées et bavardes, vole au-dessus des tuiles roses des bungalows pour aller se chamailler avec les mouettes autour des pyramides qui étagent leurs gradins blancs du côté de la mer.
Le vent qui les porte, insensible au niveau des tombes, se calme.
Au détour d’une ligne d’azalées, le vieux cimetière de la Cité des 1000 fleurs où repose le mari de Gisèle fait face au lac bleu entre les pins. Le groupe des habitués du Grand Café se tient devant le cercueil que les croque-morts descendent dans la pierre avec des cordes. La chapelle mortuaire du pendu est à peine visible derrière une haie qu’a longée le cortège. Les époux font tombe à part.
L'eau d’un arrosoir mécanique de l’autre côté du muret du cimetière s'éloigne, revient rapidement sur elle-même quand le ressort se détend ; le retour de la trépidation de la cuillère s'accélère au contact du jet qui fuse en arrière, crépite sur la croix d’une dalle proche où la pluie écume sur le marbre, gifle plus distraitement le mur de la crypte du père de Zoé, ne fait qu'effleurer dans un demi-cercle déclinant la lisière du petit groupe en deuil où, le bruit attendu du choc de l'eau ne parvenant pas jusqu’à la tombe de Gisèle, le silence a une fluidité sous le ciel parfaitement bleu.
Ombrelles, yachts, tricycles, épées sur le plan d’eau du lac Eléphantine ...
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Après le repas d’enterrement qu’a donné Max sur le ponton du Grand Café, de retour dans les hauteurs distantes des pyramides – Zoé court vers la terrasse comme si elle allait se jeter dans le vide. Des gradins de pots de plantes grasses et d’arbustes aromatisent l’air nocturne. Le fauteuil de rotin où se reposait la malade est exagérément solitaire dans la lumière des veilleuses. Il n’est encore personne pour oser s’y tenir.
Max se joint à sa fausse vraie fille, frottant son menton d’un air compassé. Ils semblent se recueillir une dernière fois. Leur regard accommode, ou bien la lune éclaire progressivement la station balnéaire, l’obscurité de la végétation se nuance ; des gradations de clarté approfondissent la nuit, et ils voient mieux le circuit des allées que parcourt la lampe d’un vélo dans la végétation obscure des jardins, les disques pâles des réverbères, le trait noir de la mer.
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Le mistral se lève par une éternelle nuit d’été où l’air est particulièrement orageux, il anime et pousse dans tous les sens un monde sautillant et glissant de papiers jusqu’alors invisibles dans la station balnéaire.
Un troupeau d’arrosoirs mécaniques qu'on a laissé tourner dans la nuit fait tournoyer de longs jets d’eau qui ont un balancement souple et nonchalant de cous de girafes. Gisèle s’est assise sur un des bancs du cimetière, devant des lilas fanés dont le vent disperse le faible parfum vers la mer. Son époux arrive depuis le fond d’une allée de tombes. Il s’avance lentement. Ses yeux ennuyés observent les jeux d’eau. Comment oserait-elle l’appeler ? Elle se laisse absorber par l’approche silencieuse et nonchalante. Le vent s’arrête. Il retient son souffle.
Adrien sourit et s’assoit à côté de son épouse, sur le banc, dans les confettis de lumière et d’ombres d’un tilleul. Ce qu’ils se disent ? Pas grand-chose, comme d’habitude. Gisèle soupire. Adrien est pensif. Elle veut chasser d’une pichenette de la poussière sur son genou et s’aperçoit que c’est un grain de lune. Il trace, du bout de son soulier, un cercle dans la flaque miroitante qui a gagné leur banc depuis les arrosoirs ; le reflet de leur visage s’y brise, puis se recompose et se stabilise à nouveau.
(à suivre)