Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Publié par Michel Castanier

satire comédie littérature autobiographie autofiction portrait fragment sotie pamphlet
Anish Kapoor

 

 

Le motard est lugubre

 

 

 

 

La police ne m’arrêtera pas pour excès d’optimisme.

 

Discerner des complots un peu partout est la preuve d’une merveilleuse confiance dans l’humanité. Du moins quelques-uns tiennent la barre, ordonnent le monde, font bon usage des imbéciles, comptent les sous et savent ce qu’ils font. Ainsi la raison triomphe en dernier lieu. Cet univers où l’Homme aurait toujours le dernier mot témoigne d’une candeur qui enchante et d’un goût rassurant pour l’art romanesque.

 

Très tôt, dès mon berceau, je fus quant à moi assez pessimiste pour l’avenir de l’humanité. Du désordre permanent qui entourait ma litière – cette agitation bizarre, cette alternance insensée de visages ahuris, cette foire d’empoigne pour me chatouiller les petons – je déduisis, désabusé, que le monde autour du doux foyer ne vaudrait pas mieux. J’anticipai avec stoïcisme à l’état de mes langes la dégradation du climat et l’inconséquence de nos dirigeants. Je jugeai par l’irrégularité du passage de mon biberon au-dessus de ma tête, sorte de lune erratique, que nous allions, le berceau et moi, droit vers Armageddon. Apocalypse sweet Apocalypse était le nom de notre villa pavillonnaire. Par la suite, l’usure de ma tétine me fit estimer inévitable une expansion de la guerre économique et la venue d’un krak économique mondial. J’entrevis la montée abusive de la démographie dès la naissance de ma petite sœur. Qu’elle ait droit à plus de bananes que moi me fit clairement comprendre ce qu’était la corruption du pouvoir. La difficulté pour me faire comprendre et d’ailleurs mon désespoir quand je compris ce qui m’était dit, m’en apprit beaucoup sur ce que serait le futur bug planétaire.

 

J'admets, en revanche, n’avoir pas su prévoir la pire des cohues, le plus grand imbroglio, le méli-mélo fatal, le tohu-bohu – que je laisse à mes chères lectrices le soin d’imaginer, elles en connaissent un bout.  On ne peut pas être toujours intelligent. D’ailleurs, il aurait mieux valu ne pas l’être. La plupart des cosmologies nous le font remarquer : à l’origine du monde il y a toujours une catastrophe. Le Déluge nous en dit long sur la conscience, sortie du Paradis par la porte de service.

 

Bref, j’ai su à peu près tout, mais trop tard : je n’étais plus en âge pour la mort du nourrisson. Je suis un lent. Or, n’ayant rien d’un lemming, à défaut de me jeter du haut de ma poussette, il fallut se tenir droit pour mon entrée dans la vie et admettre sereinement l’activité incessante du hasard et qu’un énorme, immense N’importe quoi m’attendait.

 

Je n’avais pas tort et me voici confirmé dans mes vieux jours, si la fin du monde n’est pas seulement la fin de « mon » monde. À l’évidence, il y a aujourd’hui tremblement de terre, les immeubles chancellent, les cours d’eau quittent leur lit, une civilisation s’écroule en bouillons de poussière, notre Église part en couilles, mais les ruines me tombent sur la tête sans m’effrayer, je m’y attendais. L’arbre du complot cachait la forêt du désordre généralisé et de la course à l’abîme qui s’ensuit. La collapsologie me donne raison : la créature de Dieu est une maladie en stade terminal.

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article