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Publié par Michel Castanier

satire comédie littérature autobiographie autofiction portrait fragment sotie pamphlet
[La Nuit du chasseur]

 

3 juin

 

Je n’avais plus mis les mains dans mes poches depuis long­temps. Cette observation serait parfaitement insigni­fiante, et tout au plus ne concernerait que moi, si elle ne trahissait une immense perte de confiance. La posture de l’homme qui va les mains dans ses belles poches est carac­téristique d’une société paisible et confortable. Ce n’est pas sous les bombes qu’on se promène. Je cherchai quelque temps un passant dans cette situa­tion et non seu­lement il n’y en eut pas mais je n’en avais pas remarqué depuis longtemps, même chez ceux qui avaient la pré­somption de ne porter aucun masque. La défiance entre nous était plus grande que je ne l’avais cru, cela me re­donna espoir, la ville était aux aguets et une ville en éveil a des chances de survivre.

Je dus alors m’asseoir sur un des bancs du canal, après l’avoir désinfecté, car j’étais entré dans de vastes considé­rations et cela me fatigue toujours un peu. Qu’est-ce qu’on a dans les poches, exactement ? Pour la plupart des cail­loux. Ou on n’en sait rien.

 

*

 

J’étais étrangement triste ce jour-là. Je venais d’apprendre qu’un peintre régional avait traversé la lu­mière. Il reposait dans le tombeau familial sous l’épitaphe vini vidi dans le seul combat qui vaille : la lutte contre le mauvais goût de notre époque. La vraie peinture lave le regard.

Le cher homme avait toujours vécu les poches retour­nées et j’aimais cette insouciance. Sinon, le « faire ar­tiste » était une bonne couverture sociale ou un petit vélo. Pour ma part, j’avais mes poches percées.

J’expliquai à mes souliers manquer trop du sens de la culpabilité pour être pro­fond. Ils m’approuvèrent : selon eux, un prêtre m’aurait chassé du confessionnal, un psy­chanalyste échangerait nos places. Je ne me levais pas chaque matin que Dieu fait, courbé sous le poids du monde. Avec une tranquille assurance je manquais to­talement d’humilité, ce qui est le propre des enfances heu­reuses, le monde leur est dû. À raison, dirent mes souliers.

Très tôt, j’avais été un garçon facile, chercher un sens à ma vie m’aurait alourdi. Je préférais lui faire les poches. L’existence était superficielle, une simple surface miroi­tante, du strass, de la fantaisie, un piercing à mon nez, elle était brillante, elle était du toc. Passant un doigt le long de l’anneau de Moebius de la vie et de la mort, je cultivais en secret un petit côté gothique insoup­çonnable chez moi. J’estimais esthétique la décomposition du corps par cet Art de l’extravagance que sont les jeux du hasard et des contingences de l’Évolution – de Tyrannosaurus Rex à Marylin Monroe et de musca domestica à Donald Trump. La décomposition rêve les fu­tures générations.

Il était temps d’aller où mes souliers me mèneraient. Je quittai le canal, les mains dans mes poches trouées.


 

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