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Publié par Michel Castanier

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[Dubout]

 

Antidotes – 53

 

 

Le boss aime bien nous confier ses rêves en nous chaussant de bon matin.

Par le hublot de l’avion, j’ai vu cette nuit un encombre­ment de chaussures transformées en jonques sur une rivière verte. J’hésitais à confier à mes voisins Africains que je trouvais le paysage pittoresque (ils l’estimaient pauvre, ce qu’il était aussi). J’avais continuellement un détestable rire complaisant pour leurs plaisanteries amères à l’égard de ce qu’il appelaient les Blancs.

Il a fini de lacer Jean, et nous sommes partis. Chacun sait que les rêves des autres présentent peu d'intérêt. Le boss abuse de notre patience. A-t-il jamais prêté attention aux cauchemars de ses chaus­sures ? Jean en a pourtant de passionnants, qu’il partage volon­tiers pendant nos promenades, bien que je n’aie aucun moyen de me boucher les oreilles, au contraire du boss, même ceux d’Imbert et Umbert, ses chaussons, seraient ima­ginatifs s’ils ne se rendormaient avant d’avoir fini de les raconter, et nous épargnerons au monde les rêves effroyables de ses mocas­sins Gucci en peau de crocodile.

 

*

 

Il lui arrive même de troubler notre sommeil. Une nuit, nous avons été réveillés par de gros soupirs, des larmes et un propos insensé tenu dans le sommeil du maître.

– Je savais bien que maman n’était pas maman, je ne me leurrais pas… Elle était ma tante Isabelle…. Ma bonne tante, la sœur de la défunte... Mais j’aimais, moi, l’appeler maman et elle aimait que je l’appelle maman et quel monstre serait venu dans notre petit lit nous empêcher d’être maman et son fils bien aimé ?

Nous avons eu de la peine à nous rendormir. Il n’est pas bon d’en savoir trop sur un être humain : il ne nous déçoit jamais pour ce qui est d’être gênant.

 

*

 

Nous sortions du Mac Donald en papotant, après que le boss eut donné un sou à une personne de l’Est pas-mangé-pas-travaillé-pas-heureuse.

Le manque d’argent n’est pas la mesure d’une médiocri­té.

En gagner beaucoup témoigne d’une obsession – et l’obsession, comme tout état qui manque de souplesse, est une crispation.

Une douleur.

Et finalement un appauvrisse­ment.

Une pénurie progressive des possibles.

Une voie de garage.

Le garage a des murs d’argent, la Bugatti est en or.

Il y a un automate au volant.

Il ne vous parlera que d’argent, et en dépensera à tout va par liasses et dans des réceptions inouïes au château, mais ne vous y trompez pas, il n’est pas généreux, son égocentrisme ne le lui permettrait pas, il veut montrer qu’il est le roi du monde, puisque le réel c’est l’argent.

Quel réel ?

 

*

 

Le boss garde par affection la machine à écrire de son grand-père dans notre armoire, au dernier étage, avec des boîtes à chaussures pleines de photographies d’enfance oxydées – une vieille Underwood lourde et noire digne des machines infernales que faisaient exploser les anarchistes au temps où le terrorisme était un sport de gentlemen. Parfois il entrouvre la porte, mais ce n’est pas à notre intention, il lève les yeux rêveusement.

Écrire est un travail d’équipe, se murmure-t-il. Cette belle mécanique serait mon éminence noire – ma dream team, mon camp, ma faction.

Il referme la porte et ses pas décroissent en toute discrétion grâce à Imbert et Umbert, ses chaussons bien aimés.

Il ne serait rien grâce à cette petite ligue privée qui ne finisse dans une phrase.

Le grand écrivain à sa machine rentabiliserait ses émotions, ses pensées, ses disputes, ses colères.

En effet.

S’il consentait à la Sortie de l’armoire.

Mais non. Elle écrirait à sa place.

Elle écrirait la vie sous l’Occupation.

 

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