1001 Vies (775) : LA TENDRESSE DU SNIPER – 62
Lui – Un intellectuel radiophonique – faisant allusion aux états de confusion matinale que nous partageons tous – avouait craindre qu’au réveil l’intelligence ne le visite plus.
Moi – Je peux le comprendre.
Lui – Je ne suis pas d’accord. Dans cette brume qui est encore celle du sommeil se déposent deux ou trois idées extrêmement lucides – d’une cruauté qui ne sera plus obtenue par la suite. Je crois qu’on n’en veut pas savoir plus : ce sont des pensées indiscrètes. Des encombrants que dépose le sommeil pour la voirie du jour.
Moi – Les nuits sont des moulins à vent.
Lui – C’est juste. Leur dispositif « songeur » – l’étrange machinerie des aubes – meule le blé des jours et en obtient quelques grains d’idées claires. Quelle leçon si nous savions quoi en faire et en tirer les conséquences au long de la journée !
Moi – Sans doute cesser d’attendre en sentinelle au pied d’une maison d’édition vermoulue et plutôt vendre des glaces 3 parfums aux enfants du Bon Dieu à la sortie des collèges.
– Méditons l’énigme antique d’un certain silence sans craindre les murmures fébriles des cyniques, ces puritains déçus. Qui aime ne craint pas le ridicule.
Du temps a passé. Zéphira se moque de l’amant à présent. Elle rit de lui. Il l’a lassée. Elle le renie. Elle se renie. Elle est à d’autres jeux sensuels. Elle est à d’autres masques et d’autres rêveries. La Toile est son royaume et elle règne sous d’autres prête-noms sur des ectoplasmes. Elle est bien de ce siècle déshérité où le salut n’est que dans le confort, la voracité et la médiocrité –
On a tous vu avec effroi des photographies de la Vierge de Nuremberg, ce monstre de fer qui se refermait comme un œuf sur sa victime et l’embrassait dans ses pointes d’acier. La moindre mobilité de ses pensées, la moindre association d’idées, le moindre souvenir, qu’il avait mal, mon Dieu qu’il avait mal…
Le dernier de leurs baisers aura été le baiser de la Vierge.
[à suivre]