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Publié par Michel Castanier

[Jérome Delépine]

 

Lui – Un intellectuel radiophonique – faisant allusion aux états de confu­sion ma­ti­nale que nous partageons tous – avouait craindre qu’au réveil l’intelligence ne le visite plus.

Moi – Je peux le comprendre.

Lui – Je ne suis pas d’accord. Dans cette brume qui est encore celle du sommeil se dé­posent deux ou trois idées extrêmement lucides – d’une cruauté qui ne sera plus obtenue par la suite. Je crois qu’on n’en veut pas sa­voir plus : ce sont des pensées indis­crètes. Des encombrants que dépose le sommeil pour la voirie du jour.

Moi – Les nuits sont des moulins à vent.

Lui – C’est juste. Leur dispositif « son­geur » – l’étrange machine­rie des aubes – meule le blé des jours et en obtient quelques grains d’idées claires. Quelle leçon si nous savions quoi en faire et en tirer les conséquences au long de la journée !

Moi – Sans doute cesser d’attendre en sentinelle au pied d’une maison d’édition vermoulue et plutôt vendre des glaces 3 par­fums aux enfants du Bon Dieu à la sortie des collèges.

 

– Méditons l’énigme antique d’un certain silence sans craindre les mur­mures fébriles des cyniques, ces pu­ritains déçus. Qui aime ne craint pas le ridicule.

Du temps a passé. Zéphira se moque de l’amant à pré­sent. Elle rit de lui. Il l’a lassée. Elle le renie. Elle se renie. Elle est à d’autres jeux sensuels. Elle est à d’autres masques et d’autres rêve­ries. La Toile est son royaume et elle règne sous d’autres prête-noms sur des ectoplasmes. Elle est bien de ce siècle déshé­rité où le salut n’est que dans le confort, la vora­cité et la médio­crité –

 

Tant d’amertume n’annonce rien de bon. Notre vieil ami ravagé par la passion me disait y avoir cru. Cru comme jamais il n’avait cru. Cru pour de vrai. Cru pour de bon. Il était comme un enfant perdu sans collier. Je connaissais son drame. Nous avons tous été crédules. Un enfant malade qui ne sait pas dire où est son mal, nous l’avons tous été. Un chien qui n’a que les yeux pour dire sa douleur, nous l’avons tous vu. Les chiens souffrent en silence : il s’écartait des siens, il se cachait, il aurait marché les yeux fermés pour faire ses courses, s’il l’avait pu. Les chiens lèchent éperdument leur plaie : il avait « une conduite d’évitement du déplaisir », me disait-il, très sérieux. Il voulait cesser de penser.

Il avait aimé laisser bondir les marsouins, danser les hippo­campes en ascenseur le long d’une herbe marine, rire les dau­phins, chahuter les mouettes : ses pensées. Il ne maîtrisait plus rien. Ses notions maritimes étaient légères, en revanche il savait tout à présent de l’art des couteliers. Couteaux, ciseaux, rasoirs, lames, haches, couperet... Rien qu’il ne connaisse sur le bout des nerfs.

On a tous vu avec effroi des photographies de la Vierge de Nuremberg, ce monstre de fer qui se refermait comme un œuf sur sa victime et l’embrassait dans ses pointes d’acier. La moindre mobilité de ses pensées, la moindre association d’idées, le moindre souvenir, qu’il avait mal, mon Dieu qu’il avait mal…

Le dernier de leurs baisers aura été le baiser de la Vierge.

 

[à suivre]

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