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Publié par Michel Castanier

 

Ninon

 

– Oui, mon ami, du sucre sans sucre et un peu de lait.

– Je ne croyais pas que deux êtres puissent se dire oui à ce point. Et en effet, ce n’était pas croyable, ma Ninon. Ainsi n’y aura-t-il rien entre nous – que du sucre sans sucre et un peu de lait ? Aucun acte. Ni oui ni non ?

O Ciel ! O dieux ! O Ninon ! Il était quelque chose de juste, quelque chose de jamais vu entre nous. Et Ninon a mis ce leurre entre nous, le sexe, cette insignifiance essentielle sans quoi vivre entre homme et femme est pourtant impossible et sans qui tout est commun et ordinaire et n’est qu’amitiés de bureau.

Non ! j’ai une plus belle idée des hommes et des femmes, de leur folie, mais cela s’invente ensemble glorieusement, alors que Ninon ne me propose que de gentiment beurrer ma tartine au réfectoire ou de me lire le journal local pendant la pause ou, les jours fériés, de visiter le sinistre musée municipal, divertis­sements de mon âge, je présume, la folie merveilleuse ce n’est pas cela, la folie est ce qui nous portait si spontanément l’un à l’autre sans aucune restriction d’un bureau à l’autre, d’une pho­tocopieuse à l’autre, tournant autour de la machine à café comme nous tournions autour de nous-mêmes, ce qui était une passion l’un de l’autre et une liberté heureuse.

Je représente – au Ciel ! aux dieux ! à Ninon ! – que la vie est horrible. Je ne peux vivre sans curiosité sans désir sans risque qui ne soit désordre et transgression, antique et chère liberté de nos vrais pères selon l’érotisme et l’humour – ces deux saluts sans quoi l’humanité se serait suicidée dans les cavernes humides et glacées.

Et soudain la voici très raisonnable, Ninon, vieil héritage contraignant de ses pères religieux, de ses pères castrateurs, la voici incapable d’aller au désir sans désir et voir venir ce qui se passera de lamentable ou de miraculeusement jouissif dans l’Amour si tendre des chefs de bureau.

 

 

[à suivre]

 

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