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Publié par Michel Castanier

Katsushika Hokusai

 

 

L’Aventure des Parfaits

 

Un choc soudain alourdit le funambule d’un poids qui le désé­quili­bra. Le temps d’avoir repris un vol plus sûr, il vit ce qui oc­ca­sionnait ce déséquilibre. Siphonette – précipitée dans l’abîme ou s’étant jetée d’elle-même à sa pour­suite – s’accrochait à sa cheville et le regardait de ses grands yeux étonnés.

Il l’observa avec stupeur.

–  Tu es timbré, Achille.

Peu à peu, une réflexion fixa son attention, et elle s’amusa.

– Tu es tout à fait timbré.

– Pas moins que toi, ma douce rouquine.

Il se pen­cha et l’aida à monter dans ses bras. La te­nant étreinte, il rit et elle rit avec lui. Il s’apercevait avec bon­heur que la force de ses ailes et sa propre énergie étaient as­sez grandes pour les tenir en­semble dans le vide à des mil­liers de mètres du sol.

–  Puisque nous sommes enfin seuls, mon Achille, je peux bien te le dire : je suis tout de même content d’être avec toi. On ne s’ennuie pas, ça c’est sûr, on ne s’ennuie ja­mais ! Mais ça ne va plus loin, d’accord ? Pas plus loin !

Autant d’insistance – et si absurde dans ces circonstances peu opportunes – était bien évi­demment suspecte : Achille entendait exactement le contraire, ce qui s’était passé dans le pommier en fleurs en faisait foi, même si elle ne s’en souvenait plus, et dé­tour­nant la tête il sourit en cachant avec soin ce sourire. Il reçut un grand coup de poing dans la poitrine.

Il avait de la gratitude pour sa nymphe. Ses tourments dans les labyrinthes du Monde flottant se modéraient. Les femmes sont comme les sirènes. Leur no­civité tient moins à la qualité de leur chant – parfois déplorable – qu’à notre imagina­tion : ces his­toires qu’elles nous con­tent ou qu’on se conte à leur sujet et où nous nous oublions.

S’oublier, cette grâce qu’elles nous accordent.

 

 

La Constance d’Eros

 

Maintenu dans l’armature des toiles, le couple glis­sait sur les rails des vents et se suspendait aux pratica­bles des nuages ou se recevait dans le filet des cou­rants d’air. 

Achille percevait un lourd parfum légèrement mus­qué. C’était le sien. C’étaient ses ailes. C’était l’odeur de sa mé­tamorphose mêlée à un parfum de va­nille. Il n’était plus si triste ni si vert de peur. Il était même tout rose à pré­sent. Il n’avait plus d’amertume à l’égard de cette vie qui n’avait pas eu beau­coup de sens ni de beauté jusqu’à ce qu’il ren­contre la nymphe rousse qui l’enlaçait bien fort par la taille, la joue posée sur la poi­trine de son ami. Il avait enfin bon es­poir : son adresse l’enchantait. Il avait fait un long voyage non seu­le­ment à tra­vers les li­mites de la géogra­phie connue mais en lui-même. Il passait une ligne immaté­rielle – un équateur inté­rieur – et il était désor­mais singu­liè­re­ment changé, en effet tout rose de bonheur.

Il rit, les lèvres retroussées par la force du vent. Il lui vint une idée tout à fait extraordinaire.                 

–  Le professeur Style, notre maître à penser, ne pro­clame-t-il pas le principe dy­na­mique et créateur de l’égarement systéma­tique ?

– Je n’ai pas connu de plus bel égarement que toi, mon Achille.

– Et, de fait, com­ment se trouver soi-même si on ne se perd pas ? J’ai bon espoir que nous nous soyons trou­vés pour tou­jours, ma Siphonette : puisque nous étions perdus sur terre nous nous trouvons au ciel !

C’était très vrai. Siphonette pouvait bien disparaître à nou­veau, Achille pou­vait bien parcourir à sa recherche toute la surface de la terre, qu’elle fût plate selon l’Antiquité, ronde selon la rai­son ou spi­ralée selon la fantaisie du funam­bule, il n’y aura par­tout qu’une seule vérité : il l’aime et elle l’aime.

Du côté d’une falaise où les cyprès d’une route départe­men­tale se balan­çaient au vent une nappe noire reflétait la brume : la mer méditerranée se soule­vait de­vant un immense Vi­sage mélan­colique, visité par les mouettes, parasité par la végé­tation comme la paroi d’une falaise : le même que dans les hautes terres du Monde flottant – les yeux qui sai­gnent, et un sourire d’égaré.

Achille le reconnut enfin – c’était le visage pétrifié d’Eros.

 

 

LES RENDEZ-VOUS DU FUNAMBULE SENTIMENTAL

 

Il est possible que l’enthousiasme m’ait égaré.

Le beau conte a cherché dans sa rêveuse er­rance l’objet d’amour autant que la forme singulière par la­quelle il allait se raconter pour dire cet amour comme jamais il ne fut dit.

Autrement, de quoi se justifierait ce projet dispositif étrange ? De la littéra­ture ? Soyons modéré.

 

Voici qu’il s’achève.

Le conteur ne le savait pas mais il avait posé dès le début le conflit qui sera sa fin.

Rien là d’original : tout est dit d’avance. Leur fin est dans le début des amours. Ce qui s’écrit aussitôt est ce qui sera réécrit sans cesse, suivi dans ses linéaments, interprété de mieux en mieux, mené à une fin qui peut être une longue fidélité fatiguée ou n’être que la sortie d’un spasme.

Rêverait-on des fables si on était heureux ? Ce que je dis là est convenu. Depuis cette plateforme – cette platitude – il est bon de s’élever avec la gaieté du ballon d’hydrogène bleu lâché par un enfant. Se déplacer avec légèreté par les courants aériens. Et ne laisser aucune ombre sur terre.

Ce n’est pas accepter l’ordre du monde.

C’est s’en alléger.

Acte de funambule, en somme.

 

 

(à suivre)

‪#‎fiction mystérieuse ‪#‎fantaisie fantastique ‪#‎conte ‪#‎romance

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