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Publié par Michel Castanier

[Auteur de l’image non identifié]

 

 

… Ma famille ? Des gens que je n’aurais jamais dû rencon­trer. Mon père s’est remarié aussitôt après l'enterrement de son épouse, il avait de gros besoins, il s’est contenté de nous déménager chez notre voisine. C’était bien mon père, pour sûr, il n’était pas lui non plus un ami de l’action. Ma belle-mère a souvent es­sayé de me perdre par la suite mais je retrouvais assez faci­lement le chemin de la maison. Au début, cet échec l’énervait puis elle a fini par me trouver amusant et même sym­pathique. Comme un chiot malin. Ce fut bien­tôt un jeu entre nous.

C’est dire si j’étais préparé quand j’ai rencontré le monde des femmes. Je résistais. Il n’était pas facile de m’égarer. Cer­taines crurent y parvenir en m’épousant. Je leur ris au nez. Bien sûr on essaya le poison – elles m’empoisonnèrent la vie mais j’avais eu Mithridate pour belle-mère, leur poi­son me renforçait. J’y gagnai d’en accompagner trois au ci­metière, la fillette n’était plus là, et je ne manquai pas de les retrou­ver pour la Toussaint (nous habi­tions la même petite ville). Ces dames enrageaient, leurs dalles sautaient comme des bou­chons de champagne. Ce fut bientôt un jeu entre nous.

C’était le bon temps …  

 

« Si je vais bien, moi-même ? Je ne suis pas sans nouvelles de mon corps ces temps-ci. Vieillir : au moment où on a le plus besoin de forces en avoir le moins  ? Quelle stupide in­génierie, l’organisme ! Laissons ça et ne soyons qu’amusements et rires, la vie étant ce qu’elle est : on ne sait pas bien quoi.

Marceau, donc. Vous l’aurez compris, et votre visage sou­cieux me l’ap­prend : que sa conver­sation soit sous l’ombre por­tée de la mort pa­raît légitime dans son état. Il faut un peu de réflexion pour s’aperce­voir qu’il n’a par­lé que de la mort des autres. Il me rap­pelle la sa­tis­faction de ma grand-mère dont le pre­mier soin ma­ti­nal est de lire la né­crolo­gie locale dans son quoti­dien. De quel glous­se­ment intérieur est-elle ani­mée, de quels doux tin­tin­nabu­lements de clochettes, seul un cer­tain sourire en dit long.

La vie de Grand-Mère, un marathon où qui gagne perd sur une ligne d’arrivée impondé­rable. Le champ de bataille va se ré­trécir au­tour des survi­vants. La mort frappera à droite, frap­pera à gauche, frappera de plus en plus près, ils seront bientôt seuls, ma grand-mère et mon ami, très fiers, puis le champ sera vide et ils n’en sau­ront rien.

Je l’admets ma fa­tigue nerveuse aux discours de Marceau a été si ex­trême que mon merveilleux égoïsme a eu la ré­action du bal­lon d’hy­drogène qui se déleste, s’allège et va gaie­ment batifo­ler dans les roses nuages ! Mais moi je suis heu­reux, Marceau ! Moi je suis amou­reux ! Je bande, moi ! Je suis aimé, moi !

Oubliez cette indiscrétion. Amoureux, moi ? Oui, j’ai eu cette malchance, mais là je tri­chais, je faisais le beau, susucre, rien que pour énerver Marceau. Passons. Je crains qu’il ne m’en veuille. Il n’est pas pardonné d’être heu­reux parmi les morts – ce qui, pour­tant, est notre sort commun. »

 

 

[à suivre]

 

 

 

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