1001 Vies (808) : LA TENDRESSE DU SNIPER – 95
À Nina Beskow
Maman s’en est allée à 13h22… Je lui tenais la main, les enfants étaient avec nous…
Une amie suédoise m’écrit du Septentrion.
Maman s’en est allée. Je ne cesse de penser la douceur soudaine de ces mots simples revisités.
En vain.
C’est inatteignable.
L’unité tendre des mains. L’accompagnement pieux.
L’étrange précision de l’heure de la mort. J’entends battre le cœur de l’antique horloge suédoise dans la chambre mortuaire. La jeune femme – l’enfant – lève les yeux. L’heure inouïe. Le balancier a battu le temps de sa jeunesse. Il a battu le cours de la jeunesse maternelle. J’écoute la grand tradition séculaire des générations de femmes suédoises.
La main maternelle se relâche.
On ne peut qu’imaginer le saisissement. L’abandon absolu.
Non, on ne peut rien imaginer.
Le cher matriarcat nordique autour du foyer de chaleur des maisons en bois solitaires sous la neige.
Je goûte le noyau de douceur de l’amande amère.
L’amour douloureux n’est pas dit. Il préside en tendresse et discrétion. Est seulement suggéré qu’un silence s’est fait à 13h22. Une femme s’en est allée.
Une énorme rumeur de ressac tient lieu d’humanité vague après vague vague contre vague éclats d’écume
un être exceptionnel un surfeur d’argent un penseur de toute beauté se noie
aussitôt filet de bulles la conversation océanique reprend,
la vie sociale remuement d’eau parmi d’autres égouttements goutte après goutte à la lèvre du robinet clapotis de mare coucher du soleil à la barbe des joncs la pensée saute de nénuphar en nénuphar.
[à suivre]