Tomates, Automates et spectres (conte libertin) – 84

Le soleil printanier éblouissait la verrière de la cafétéria où le personnel de l’Unité psychologique était en grande discussion.

– C’est amusant qu’il ait voulu la guérir, dit Bernadette.

– Très amusant.

– Je veux seulement vous faire comprendre qu’Emile a eu très peur du mari.

– Quoi ? De cette petite chose fluette ?

– De l’image du mari ? dit Félicité, rougissante.

– Soyez sérieuses. Elle n’a jamais été mariée. Le baron n’est-il pas le père d’Adèle ? Cet homme a disparu à la puberté de sa fille et il n'a jamais été retrouvé.

– La baronne est un cas exemplaire de fugue amnésique.

– Emile a voulu la guérir.

– L’aguerrir ? suggéra la sismothérapeute, frémissante.

– Non. On ne joue pas, Léone.

☆

Adèle, extrêmement confondue, quand le Parmentier lui eut fait part des réflexions d’Emile à son sujet avec toute la délicatesse requise – ayant d’abord pris la fuite, sans doute honteuse, était désormais revenue sur ses étranges lubies au sujet d'un homme âgé qui la visiterait. Ces dames de l’Unité psychologique avaient désormais bon espoir qu'elle se remette tout à fait de la disparition mystérieuse d’un père qui l’avait tant aimée.

Pour leur part les plus âgés parmi les membres du petit personnel de la clinique et du manoir avaient bien connu dans son enfance la petite Adèle – ce pauvre cher visage blême, sans expression, ces yeux d’oiseau immenses et blessés ! Parfaitement au courant des oubliettes et chausse-trappes dans la vie des châteaux ces hommes et ces femmes, qui avaient de l’affection pour leur étrange baronne, respectaient avec soin la détresse de la jeune femme – de l’ancienne enfant – en ne lui trahissant rien de son comportement insensé – sa stupéfiante conviction d’avoir été l’épouse d’un père chéri, l’ingénieuse et subtile solution qui justifiait d’avoir été abusée.

[À suivre]

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