Aimable légère I Au bord du monde – 9
Max a posé à ses pieds son panier de pêcheur, avec une sangle en cuir et des compartiments, d’où, repoussant le caoutchouc jaune du ciré plié de Violette, il tire un attirail de pêche – un vieux matériel avec deux cannes légères.
Ils pêchent comme autrefois à l’abri du mur dénudé au bord de l’eau, près de la structure dégradée d’une cheminée battue par un liseré de vagues monotones. Assis sur un canapé démantibulé, ils trempent leurs pieds nus dans l’eau chaude. Un râle d’eau invisible à la branche d’un olivier crie par instants.
Max boit de temps à autre à même sa gourde, une grosse bourse en cuir de vache, cousue de fil noir épais, finement velue, gonflée comme un pis par du vin des Costières et d’une douceur de vieille joue.
– Nous guettions, avec ta mère, les bateaux phéniciens arrivant du large.
Des joncs très hauts et des bambous craquent dans le silence.
☆
Un Canadair apparaît du côté des salières. L’avion déverse une trombe d’eau sur les fumées des garrigues incendiées. Violette regarde obstinément, par une étroite fenêtre sans châssis dans le mur de briques rouges du vieux château, les eaux bleues où le courant déporte un couple de mouettes endormies.
Ce sont ses premiers sanglots depuis la mort d’Adrien.
Max range son matériel avec précision.
– Bonne pêche, dit-il, bien qu'il n'ait pris aucun poisson.
Il farfouille dans son panier de pêcheur, parmi les boîtes d'hameçons, de mouches en plastique, de fils de Nylon et d'asticots, et il retire un sandwich au jambon qui a goût de poisson. Violette mâchonne ses larmes et le sandwich sans rien dire du goût du poisson. Max montre dans le lointain une grue qu’on a commencé d’édifier.
– Je vais faire construire dans la nouvelle station balnéaire. Mon café marchera bien grâce à toi.
Il ferme son panier et se lève.
Leur pas au retour efface le chemin comme si leurs pas étaient des gommes.
[À suivre]