Aimable légère II Côté cour –2

Cela se passe avant que la station balnéaire soit construite, et pourtant rien n’avait auguré de bon des pavillons de fonction de la mairie au bord de l’étang et des lotissements roses et mauves de la Cité des mille fleurs ensevelie dans les dunes grises. Les bulldozers, à cause du sous-sol instable, doivent creuser profondément les fondations des pyramides de l’architecte W. C. Rose, et des colonnes de camions bondés de sable et de buissons quittent longuement l’étang qu’on assainit. Violette observe les travaux, curieuse, les mains dans le dos. Les ouvriers – de vieux Harkis – rient à la vue de l'enfant, quand ils descendent de l’autocar, ils lui donnent une pièce, une caresse sur la joue. On croirait qu’ils espèrent qu'elle soit là, et qu'elle leur rappelle quelque chose.

Quand la succion des pompes, leur bourdonnement, la perturbation de l’air au-dessus des moteurs surchauffés, les gros bouillons dans l’eau de l’étang qui se purifie, s’apaisent, les ingénieurs ont extrait du limon un réseau de canaux aux eaux verdoyantes jusqu’à la mer et une paillette de mica bleu : le lac Eléphantine.

Au lieu des oliviers secs et austères et de la nuée des moustiques vibrant d’une poussière en suspension sur le vieil étang, des cocotiers importés de nos colonies, des palmiers, des citronniers et des réverbères fleurissent de palmes et de globes électriques abricot ou blanc les pelouses achetées par pièces, comme du tissu, déroulées et fixées comme une moquette, aussi pures que des greens. Les lumières d’un millier de paisibles bungalows et des buildings pyramidaux se montrent par place dans les pinèdes parfumées. L’activité nautique bat son plein avec l’été : manèges illuminés en plein soleil, skieurs nautiques, scooters des mers, planches à voile sur le plan d’eau.

[À suivre]