Catastrophe lente – 82

Pompon

Les hippocampes d’un carrousel montent et descendent avec grâce sous les drapeaux bleu blanc rouge de la fête foraine. Ils soufflent fort dans l’air bien oxygéné. Une légère odeur de marée étonne. Le patron du manège a des cornes au front, une cape noire doublée de velours écarlate et un cordon à la main, avec quoi il manipule un pompon. La fillette aux cheveux couleur grenadine le dévisage avec un petit sourire amusé.

« Travaillez à la foire ?

– Je suis le diable, rappelle le diable avec dignité.

– C’est pas scientifique. »

Le diable soupire, se ressaisit, il explique ce qu’il sait (que ne sait-il pas !) de la vie de ses chevaux marins et propose de monter sur un hippocampe pour attraper le pompon.

« C’est quoi, un hippocampe ?

– Ce sont des gymnastes, sale gosse. Ils aiment faire l’amour avec des mouvements de manège du haut en bas d’une herbe molle.

– C’est pas scientifique.

– C’est quoi, scientifique ? »

À ce propos Alice se pince le nez et explique qu’en fait le manège (ou le diable) pue le poisson pas frais et qu’elle va scientifiquement retrouver le chemin de sa maison.

Ma fée

Assise sur mes genoux, un crayon Caran d’Ache à l’oreille, l’enfant-fée demandait ce que faisait un télescope chez moi.

« Tu es astronome, maintenant ? »

Elle me tirait le nez comme sur un cordon de sonnette, se levait d’un bond, dégageait son carton à dessin pendu au cou du télescope et, passant la porte, s’en allait en sifflotant par les rues. Je lui reprochais ce manque d’éducation, une fée bien élevée ne sifflait pas à cette époque. 

Ce matin-là, l’ouest était couvert de dessins de nuages, les gribouillis se développaient vers l’est du nord au sud dans tout ce papier Canson qu’était le ciel,

Le télescope ne serait d’aucune utilité pour la retrouver. Elle griffonnait ailleurs, scribouillait de nouveaux nuages de mauvaise humeur. Elle m’aurait arraché le cœur pour le jeter à la mer elle ne m’aurait pas causé plus de chagrin.

[à suivre]