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Publié par Michel Castanier

II. L’Atelier divin

 

Agitation

 

« Perses, Phéniciens, Arabes, Gaulois, Romains, discordes, commerce et guerres, rien ne change et tout change et revient au même mais autrement – sous la lunette astronomique de l’historien. Un peu de bonne lecture calmerait les esprits échauffés par l’actualité. Ce pourquoi ils meurent est oubliable et sera oublié dans d’autres dispositions géopolitiques, commer­ciales et guerrières où les mêmes se retrouveront en face des mêmes mais un peu différemment. À quoi bon ? Craignons les hyperactifs, ils ont peur de penser. Cultivons les contemplatifs, ils regardent le fleuve couler. »

Septicimus nous tourna le dos et s’en alla, rêveur.

______

 

Vous n’êtes pas sans savoir qu’à moins d’être travaillée par une sensibilité créatrice l’image dit tout en un quart de seconde (par exemple, une grosse femme hilare en position du poirier dans une publi­cité de fitness club) et, ce faisant, elle ne dit rien, mais nous suf­fit pour passer à d’autres images réjouies de par un monde d’images de réjouis en position du poirier.

Séraphin Mignon, avocat conseil, passa la tête dans la page où j’écrivais. Il avait apparemment son mot à dire sur le sujet.

« Dès les années gaulliennes le petit écran a pris de plus en plus d’importance. Il allait bientôt régner jusqu’à ces temps où l’ivresse de l’information s’étouffe dans son vomi. Dès cet époque le personnage – ce héros tragicomique – a sauté hors du roman et du portrait pictural, et j’ai anticipé auprès des tribunaux qu’il serait (ce que nous sommes tous aujourd’hui de selfies en réseaux sociaux) : une personnalité à part entière avec opinion inalté­rable et bon goût sûr. Ce sera entrer dans l’ère d’une dispersion atomique ; l’homme responsable de la cité grecque n’étant plus, le citoyen est un souvenir pieux, d’où s’ensuivra, une fois la crise exponentielle achevée dans la confusion, le redressement autoritaire du règne des hommes augmentés et sa couronne : le Robot, après quoi, Corps glorieux incorruptibles (qui ne puent pas), nous pourrons gagner l’infini des étoiles dans des cercueils de métal à la recherche de nos semblables, les Anges. »

Séraphin Mignon salua et se retira de la page. Ce garçon étrange ne faisait jamais que passer.

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Les deux Anges étaient posés sur un coussin de nuages, comme à l’accoutumée, à la perpendiculaire du beau square Antonin. Ils causaient entre eux. Des moineaux, alignés comme des notes sur une ligne à haute tension, les écou­taient avec intérêt.

« Il y a dans l’idée de lien la suggestion d’un assujettisse­ment. C’est inacceptable. La relation a quelque chose d’officiel qui nous fait rire doucement. Un amour de bureau, en somme, ou pire un amour de collègues au Ministère de l’égalité entre les hommes et les femmes.

– Autrefois, le forgeron Louis-Parfait « fré­quentait » la bergère Alphonsine.  Et nous-mêmes ? Assu­ré­ment. Cela ne dit pourtant rien de la nature de notre assidui­té, ce ne sera pas se fiancer selon l’usage, encore moins aller jusqu’aux noces qui en étaient la résul­tante sociale conve­nue.

– Nous nous aimons dans un autre temps que dans l’enfance sans pour autant nous aimer à notre époque, où être simples, hon­nêtes et fidèles, n’est-ce pas l’intemporalité de tous les grands couples amoureux ?

– Sommes-nous d’ailleurs un couple ? Nous n’en avons pas les ha­bitudes, dormons rarement ensemble, ne dînons entre nous qu’à l’occasion, prétendons nous retrouver au hasard mais nous re­trou­vons tous les jours sur le même nuage, et même – si l’un ou l’autre a dû s’absenter sur terre – nous ne nous donnons aucun rendez-vous, en sorte que l’étonnement et l’émotion des retours l’un à l’autre soient des première fois renou­velées.

– Sommes-nous un duo ? Il y a bien en nous les planches son­nantes et les lumières d’un music-hall privé, j’ai la science des bons mots, qui nous étouffent de fous-rires, tu détiens l’art des cla­quettes ou d’une démarche à la Charlot alors que ton vi­sage demeure absurdement sérieux, nous saluons côte à côte, avec gra­titude, notre public de manèges extravagants d’hirondelles, d’aigles et de satellites.

– Sommes-nous fusionnels, cette dictature ? Certainement pas. Je sais vivre sans toi, tu sais vivre sans moi, il nous suffit d’avoir un sys­tème nerveux commun extérieur.

– Dans l’idée de liaison nous enten­dons lésion et y voyons une souffrance typiquement humaine, le tissu altéré d’une attache, une ecchymose sous les liens, un bleu là où il n’y a entre nous que le bleu nuit du ciel des cours pro­vençales.

– Nous cherchons d’autres noms à donner pour notre harmo­nie et cette activité murmurée est d’une grande douceur, car elle se nourrit de nous, de notre étrangeté et de nos chances.

– Sommes-nous des compagnons ?

– Aucun doute, nous allons de com­pagnie par le même courant d’air, la main dans la main, la pen­sée dans la pensée.

– Nous sommes en puissance toutes les vies amou­reuses du monde et de tous les temps.

– Nous ne sommes d’aucune. »

 

[à suivre]

 

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