Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Publié par Michel Castanier

[Doisneau]

Ruines de Rome – 2

 

Guss, en grand contemplatif, a une certaine façon de n’être jamais tout à fait là – ou vaguement là, de côté, éventuellement de travers – assez peu vraisemblable au regard de l’observateur.

« J’ai vu trop de vies gâchées par le désamour de soi qui est tout autant mal aimer les autres. Tchekhov nous apprend qu'il avait mis du temps à extraire de lui le serf. La négativité (toutes les formes de négativité : la rancœur, l’envie, le mépris, la tentation de la tristesse), la négativité n'est rien d'autre qu'une servitude. »

Le voisin de Guss à une table proche au Café Carré touille avec sa cuillère dans sa tasse de café crème. Guss sait qu’un dieu de l’Olympe lui rend visite sous forme humaine s’il a l’air de n’être pas là, lui aussi, il le tient de ses cours de grec ancien au lycée. Il a confiance. Il enchante sa vie.

« Je veux seulement dire que cet état de Bienheureux qui est aujourd’hui le mien ne me rend pas très compréhensif à l’égard des comportements exagérés. Cela ne veut pas dire se prendre pour le point d’équilibre du monde, rassurez-vous, je n’outrepasse pas ma modeste condition de mortel, – il y a tout un nuancier dans chaque personnalité, je passe à côté de beaucoup trop de colorations, mais à la frange, de l’extérieur, certains êtres ont quelque chose de débraillé dans leur comportement, une absence d’attentions, de soins et de souci des autres au nom de leur perpétuelle préoccupation d’eux-mêmes, que j’estime inexcusable. 

– Vous parlez de moi ?

– Evidemment pas. »

Zeus a une façon de suçoter son croissant pur beurre de chez Noailles qui serait gênante s’il n’avait un si bon regard perdu au ciel.

« Vous autres, frères humains, vous vivez par les autres comme ils vivent par vous, votre basse extraction ne doit pas vous permettre cette rupture d’une douce grégarité ; une excroissance injustifiée de l’individu – l’égomanie – est une sorte de chancre qui développe anarchiquement ses métastases de proche en proche. Certes, l’individualisme est de la vie déchaînée, mais ce désordre ce sont les dictateurs ou ce qu’est quelqu’un de malade égaré en lui-même – ou la folie d’Ajax, n’est-ce pas.

– Voilà. Je ne peux plus admettre ça. Je ne fréquente plus les infréquentables. Je prends le large. Je fais une cure d'honnêteté et de vertu dans les jardins d’Ariane.

– Ariane ? Vous connaissez Ariane ?

– Nous y reviendrons. »

 

 

[à suivre]

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article