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Préludes

Publié le par Michel Castanier

XVII

L Ogresse est l’avenir de l’Ogre.

 

Commerce équitable

L’hysope et la lavande attiraient trop d’abeilles dans la jardinerie. La fleuriste soupçonnait un essaim. Monsieur Rémi soupçonnait ses seins et la traitait de piège à phéromones.

– Votre parfum et vos bonnes joues m’attirent comme un petit papillon !

La jardinière frotta du poing son nez avant de hocher la tête.

Je fais 63 kg depuis mes 18 ans, monsieur.

Cette nouvelle d’un érotisme incontestable manqua rendre fou monsieur Rémi. Certes, il n’était pas boucher, il n’en était pas moins homme.

Il est de mon devoir de parler d’une particularité de mon corps, madame, au moins en aparté, la main me couvrant la bouche pour n’être entendu que de vous. J’ai à cela mes raisons.

À la fermeture de la jardinerie, ils se sont éloignés épaule contre épaule, bras dessus bras dessous, la main dans la main, dans les bras l’un de l’autre, l’un derrière l’autre dans l’escalier, l’un dans l’autre au lit.

Monsieur Rémi faisait bien ses cinquante kilos de plus qu’elle.

 

XVIII

J’ai croisé un homme qui portait un lit sur ses épaules.

Il m’expliqua ne pas désespérer de lui trouver un appartement.

Je me montrais confiant.

Nous nous sommes quittés bons amis.

 

Carnivore

Je regarde ma cuisse rôtie et ses demoiselles d’honneur : de jolies pommes dauphine rousses blotties dans une feuille de batavia vaste comme une paume. J’en suis incrédule. Cette belle cuisse était vivante au corps d’une créature certainement pas de rêve mais d’amour.

Elle a été aimée, elle a aimé, elle a chu.

Le coq hurle son désespoir au soleil levant.

Je considère tant d’inconséquences et je me navre, picorant du bout de ma fourchette un bout de chair qui n’est pas si mauvais que ça.

 

Tout être vivant est triste après le coït à l’exception du coq et de la femme – Galien de Pergame.

 

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Préludes

Publié le par Michel Castanier

XVI

Lycanthropie

Première chaleur du Printemps : la fenêtre de Luce est entrouverte. Le loup-garou flaire au passage l’odeur de sa chambre.

Quand le pianisme du legato devient de la chair de poule.

 

D’une épouvantable inconscience, la famille n’a jamais réparé l’absence de selle au petit vélo de course. Luce, qui est astucieuse et délicate, avait placé un coussinet fleuri, qu’elle maintenait ajusté par une corde. Le coussinet glissait régulièrement de côté. Non sans se le reprocher, bavardant à voix faible, de temps à autre le loup-garou se contentait de l’arrimer mieux, à peine, tapotant le coussin du plat de la main pour lui rendre son volume, son gonflant, son bouffant.

Luce est prise d'un rire trémulant, comme si elle était la sonnette de sa bicyclette.

Le loup s’étire du cou comme une girafe et passe la tête jusqu’aux nuages.

 

Le prêtre à sa chaire dans la cathédrale parlait d’une voix monocorde de la sexualité anarchique, des tentations, de l’échec de la chair dans le secret de la chambre, des impuretés, des souillures et de la lubricité. Quelques jeunes filles étaient à genoux, leurs nuques claires visibles dans l’échancrure du col. La douceur bleutée des vitraux étaient suspendue comme une apparition. La pénombre animée par le chancellement des flammes des cierges. Un pianiste invisible jouait de l’harmonium.

 

– Donnez-nous aujourd’hui notre pain de chaque jour ! 

En pleine forme, chantant à tue-tête, « que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel », le loup-garou sort sur le porche ensoleillé de l’église.

Il y a du monde pour le Mardi gras dans les rues commerçantes de la ville provençale.

Dans le ciel des cafés, des restaurants, des marronniers enguirlandés, des boutiques illuminées de lampions clignotant à la gloire du Marché mondial, des patinoires, des piscines, des ormes frissonnant sur les berges des voies fluviales, des night-clubs, des cinémas, des jardins défoliés, des palais et des drugstores,

un petit biplan tracteur de banderole évolue : aimez-vous les uns les autres.

 

La lourde porte de bois et de cuir s’ouvre devant une petite sorcière.

– Et délivrez-nous de la tentation, cher Seigneur ! 

Une longue autorité de voiles noirs s’ébouriffe d’un visage pâle dont Luce rectifie elle ne sait quelle rougeur au reflet d’une vitrine.

– Ainsi soit-il… 

C’est Mardi Gras, en effet, et c’est les sorcières.

 

Et c’est l’humour divin – ainsi qu’un geste nouveau sur terre.

 

Conte de fée

La canalisation bouchée crée une sombre inondation hérissée de gouttes autour des piliers des Halles.

Elle étincelle sur le marbre noir d’une façade de boucherie.

La lueur d’un tube au néon, rougie par les reflets de la viande dans le carrelage des murs, a la palpitation d’une flamme.

La demi-lune d’un soupirail s’allume d’un regard jaune sous les pieds de la fillette,

qui fait un absurde petit bond en avant,

trois pas de course,

s’envole.

Les yeux énormes du boucher apparaissent dans la demi-lune du soupirail de la cave.

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Préludes

Publié le par Michel Castanier

XV

 

Cœurs éclopés

1

Ombeline et le « vivant »

Ombeline aimait les légumes, les aimait d’amour, leur prêtait même une âme et parlait à cette âme en les épluchant. Elle avait d’ailleurs sept pommes de terre et trois carottes qu’elle élevait dans le bac à la fenêtre de son minuscule studio. Je lui demandais si les pommes de terre criaient quand elle les arrachait de terre. Elle riait, surprise de tant d’ignorance.

« Les pommes de terre parlent mais ne crient pas.

– Pleurent-elles quand l’eau bout ? »

Autant que les animaux   , qu’elle ne pouvait manger si elle avait vu leurs yeux avant qu’on les tue.

« Cependant les pommes de terre ont ce qu’on appelle des yeux », disais-je pour voir son beau regard se chagriner.

Elle était si sérieuse. J’aimais son sérieux. Une femme sérieuse est un bonheur.

 

2

Valentine et l’inflammation

J’avais entendu je ne sais plus où « la trahison pue, et les gens primitifs la sentent de loin ».

L’association d’idée désolante se faisait en effet avec une scène que me racontait Valentine, sa chère tête blondinette partageant notre traversin :

« Ce voyou m’avait sentie », justifiait-elle.

C’était du moins sa conclusion distanciée, ration­nelle, scientifique, la seule qui fût possible, en perfecto clouté et santiags au cours d’une boum : sinon, cet être primitif aurait-il interrompu un brillant discours d’économique en Sciences Po. en lui poussant sa nuque.

« Tais-toi et suce », admit Valentine, songeuse.

Où est le mal, au nom de Dieu ?

J’allai faire sept fois en courant le tour de mon immeuble et rentrais prendre une douche avant un sommeil roboratif.

3

Les Platistes

La Terre est plate. Qui le contesterait ? D’une platitude sans fin. Quel ennui. L’ennui est la cause de tous nos désordres. L’ennui s’habille de vanité et il sort à la rencontre de la vanité vêtue d’ennui. Ils ne vont pas si loin. Ils se trouvent au coin de la rue.

Ils couchent.

Le lit est plat. Ils n’en veulent rien savoir. L’agitation leur tient lieu de tout. Elle ne dure pas. Elle ne dure jamais. Assez vite nous reprenons notre vie d’explorateur irréel parcourant la terre plate à la recherche de l’ennui notre semblable

– jusqu’à ce qu’à nouveau sur le boulevard Bertillon ou dans la rue Compendieux on croise un grand regard inquiet :

« Suis-je aimable, monsieur ? »

Nous couchons.

 

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Préludes

Publié le par Michel Castanier

XIII

Connaît-on l’Allemagne parce qu’on a touché une Allemande (pourquoi une Allemande ? Et d’ailleurs pourquoi cette question ? peu importe) ?

 

Une histoire allemande

Laverie automatique : du monde attend devant les séchoirs. Une superbe blonde – une blonde d’anthologie – surveille son petit ours en peluche qui tourne seul dans un moulin. Je le jure.

Ce sera Béate Hammer en Visite dans l’ancien pays conquis.

 

Béate avait pour critère la vérité,

et non pas la qualité d’une observation, ses conséquences esthétiques ou son simple chatoiement bizarre, suspendu, français.

Béate avait une sorte d’appétit pour la vérité – des vérités bien senties, roboratives, qui faisaient briller ses genoux, qui lui donnaient du rouge aux joues, des rires d’ogresse, et sans doute une secousse sexuelle,

– mais le plus souvent elle était intarissable avec exaltation sur le grand sujet des manèges allemands, de leur rapidité et de notre retard en France à cet égard (au moins depuis la guerre).

Il n’y a en France que la pensée qui soit rapide, lui ai-je dit. Elle n’a pas entendu. Trop rapide.

 

Au cours d’une certaine période de désordre financier et moral, j’avais eu l’idée – exceptionnelle chez moi (si au-dessus de tout) – d’établir un budget

– budget si détaillé que je suis allé, auprès de mon économe amie Béate Hammer, jusqu’à m’inquiéter s’il pouvait y être noté sans impudeur quelques menues charités – et sous quel titre : « Générosité, telle somme ? »

Au lieu qu’elle ait ri d’une de ces plaisanteries benoites qui m’étaient coutumières, j’ai eu l’inquiétude de voir les yeux de la Très Bonne s’écarquiller à ce chiffre dérisoire : « Tu donnes tant ? »

Elle n’avait pas eu trop de peine à se ranger sur mon refus farouche des pourboires (j’ai dit quelque part mon intention d’affamer le peuple pour accélérer la venue de la révolution prolétarienne), – bien que je l’aie vue revenir avec exaltation des toilettes d’un bistrot célèbre et, dans son admiration pour leur propreté (il y avait une gaine de papier détachable sur la cuvette), laisser une royale pièce dans la coupelle.

D’une manière secrète et que je me garderai d’analyser, il semble qu’il y ait eu là toute l’économie psychique de l’Allemagne protestante : les nécessités de l’hygiène. Et peut-être l’hygiène de l’amitié. Rappelons cette phrase illustre entre mes amis quand elle m’eut exceptionnellement invité à dîner : « J’espère que tu te souviendras de moi quand tu iras chier ».

 

Beate Hammer – mission accomplie (l’enfant de l’Europe dans son couffin) repartait au volant pour l’Allemagne.

« Que Jésus soit avec vous !

Un type qui a fini sur la croix n’est pas une référence quand on prend la route. »

Un bouledogue de faïence hochait la tête sur la plateforme arrière de la Mercédès.

 

À voir certains films et quelques séries, il me semble que l’humour allemand, qu’on sous-estime, qu’on ne perçoit généralement pas, est le genre de rire qui vous vient au comble du désespoir.

 

 

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Publié le par Michel Castanier

XI

Une mystique incertaine

Les blondes réveillaient toujours chez Maria, ma Tupamara, « la passion de la lutte des classes ».

Après avoir posé des bombes un peu partout dans Montevideo,

kidnappé un honorable ambassadeur anglais,

creusé des tunnels pour délivrer de leur prison d’abominables droits communs

– cette terroriste uruguayenne en exil politique avouait,

elle disait la douleur,

son impression,

son intuition,

sa certitude,

qu’elle avait plus désiré qu’elle n’avait désiré et plus aimé qu’elle n’avait été aimée,

ainsi n’y avait-il pas de véritable plaisir ni de communication authentique,

ainsi, une certaine distance permanente comme quand on sait qu’un nuage à l’horizon est beau parce qu’inaccessible,

ainsi,

l’amour faisait de la chair un objet d’amour, une approche irrespectueuse du divin.

 

Et voilà qu’ignorant sa déroute, un type horrible la regardait « voracement ».

Moi-même.

Il m’a parfois semblé vivre dangereusement, ce qui est vivre supérieurement.

 

XII

Hermine m’avait appris qu’une femme devait sortir de sa douche maquillée et habillée de pied en cap pendant que l’homme ventripotent rôdait nu dans l’appartement.

C’est ce qu’avait dit Hermine, par qui j’en apprenais beaucoup sur le comportement singulier de mes collègues. Je n’étais pas spécialement ventripotent, quoique nu, tendrement accouplé à Hermine, et j’aimais cette femme drôle et mélancolique.

 

Bien dégagé dans les oreilles

Il est vrai, je ne suis heureux que dans le monde des femmes. Elles sont en général (bien que j'aie horreur des généralités (disons donc : les femmes que je connais), elles sont souvent plus fines, plus drôles, plus intelligentes, en un mot plus achevées que beaucoup d'hommes.

Les femmes entre elles ont un vocabulaire bien à elles et qui scandaliserait ce que sont les gros paquets, ainsi qu’elles disent, (qui ne font d'ailleurs que comparer leur bite entre eux ou bien, pire encore, finalement couchent entre eux dans ces épanchements de confidences moites où ils sont toujours les favoris du hasard).

Par exemple ai-je entendu une femme dire d'un amant : je l'ai séché (petit rire) ou d'une autre : j'étais sur lui comme une frite sur un steak. Ou entendu par des Africaines : avec les jeunes c'est l'enfer, avec les vieux c'est le plaisir. Il est vrai qu'il leur vaut mieux être rusées siècle après siècle. Comme pour la judaïté une certaine fragilité assouplit le cerveau. Voilà qui est réconfortant.

J'épargnerai votre innocence, monsieur, ou ne trahirai pas plus loin votre malice, madame (puisqu’il faut bien distinguer les genres), et je précise que si j'ai écouté certaines autres choses en mode diagnostic clinique très distancié c'est que j'aime me faufiler dans le gynécée – mon côté Achille. Être un sous-marin chez les dames me sied, ainsi que je l’ai dit. Quant au reste – bas résilles et chapeau cloche – tout de même pas. Ce serait non plus Achille mais Paul Léautaud en jupette de péplum. 

 

Protée, dieu de l'amour.

 

 

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Publié le par Michel Castanier

IX

Agitation

C’était Sa faute et il entendait par le coquillage de l’écouteur les trépignements de fureur dans les vagues de l’Atlantique (il se les figurait à sa voix pour l’avoir subi tant de fois, ce retour de la fillette coléreuse au cours de son séjour parisien). Son sentiment de supériorité natal empêchait de ne voir que le désespoir, et il était attendri, il était confus, il était désolé, il était coupable, il était aimant, il était las, – dès qu’il avait raccroché le téléphone sur le bruit des vagues.

Déborah s’éloignait au soleil couchant parmi les cactus du désert de Sonora, un petit colt de dame dans un holster à la hanche de sa désillusion.

 

(Un mauvais rêve)

Deux jeunes autostoppeuses se font déposer sur le bord de la plage normande. La nuit, la mer, sombres et belles. Elles nagent, elles rient dans la splendeur nocturne. Elles s’endorment dans un cabanon de pierre. Elles s’éveillèrent dans l’aube sale d’un chantier. La mer était visqueuse, et la plage une souillure. Quand elles sortirent du bunker, des ouvriers leur jetèrent des pierres. Ils défaisaient leur braguette, sortaient leur sexe.

 

X

C’est non sans une sourde douleur au cœur que nous avons rompu sans que nous sachions bien pourquoi.

 

Vicinale

Ce long trajet pensif le long du trottoir, ces longs regards attardés ailleurs, puis le sourire énigmatique et périphérique de la si jolie voisine. Il est vrai qu’elle apporte son sac de détritus (deux doigts pinçant le nœud, le petit doigt relevé) à la poubelle collective de la voirie – depuis sa maison à quelques maisons de là.

Il va pour entrer chez lui, se reprend, lui ouvre le boîtier.

« Personne ne vous a jamais fait ça. »

Elle répond en s’éloignant qu’une délicatesse si désuète était en effet d’une suprême galanterie. Ce qui le vieillit plus que de raison. Bougon, il tourne le dos, non sans mettre les choses au point :

« J’ai eu vos prémices ».

Il entend encore du rire tinter dans le fond de son couloir.

 

Nue

à peine la courte jupe blanche battant le haut des cuisses

ça ou rien

mais justement la tentation est forte de soulever ce rien

et de confirmer

affirmer

attester

ce qu’il y a là-dessous et qui n’est d’aucune importance

et d’une si grand importance

 

en coin de rue petit flottement de jupe

clin d’œil.

 

Mouvements aussi charnels que mentaux qui approfondissent d’échos sensuels l’espace urbain.

 

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Préludes

Publié le par Michel Castanier

VII

Même le plus déprimé des tueurs en série l’a compris : se pencher sur un autre que soi est une sorte de bonheur et le plus souverain des remèdes à ses propres soucis.

On ne doit jamais manquer l’occasion de dire du mal de quelqu’un, cela oxygène l’esprit.

 

Sortie de crise

Une découverte inspirée : le Danionella dracula – un poisson comme on aimerait en avoir sur sa table.

Scie à plâtre, couverture de survie, aérosol toxique pin-pon c 23, vérin électrique, marteau à réflexes Beck pour enfants difficiles avec option sérénité, doigtier latex pour doigt d’honneur, ombre à paupières Buerberry pour tournante, anoscope Hegel avec double fenêtre et loupes pivotantes très rigolotes, harnais cuir basique total contrainte pour victimes acariâtres, Kit de viol, ensemble body latex fumé avec cagoule vinyle et zip bouche pour pause déjeuner, tout ceci je dis bien tout ceci je te le laisse en souvenir, Marie-Laure ! et même ma blouse de boucher de chez Berangeon, très simple à manche kimono, mon godemiché en acétate Caravelli assez glamour, mes chaussons Blender, ma chemise et mon bonnet de nuit, ma bouillotte, ma laine et mon bougeoir.

 

Mais je m’égare.

Hugo classe la douceur parmi les vertus de la République.

 

VIII

Des cafards lui infestent l’esprit, les termites circulent le long du circuit neuronal, des rats s’enfouissent dans la matière grise, des cocons de pensées chevauchent à dos de scarabées par les synapses, les acariens grouillent dans une poussière de souvenirs obscènes, des insectes indéfinissables, pattes pliées, pattes dépliées, pratiquent une petite brasse dans le système limbique, les scorpions sortent pattes après pattes du cerveau reptilien, les araignées tissent leurs toiles de mots au bord des lèvres veloutées où le sourire est charmeur,

le regard envoûte,

le séducteur papillonne.

 

La délicate Épreuve du nom suspendu

au bord des lèvres

Je ne sais plus son nom : elle enleva ses vêtements quand ils sont entrés dans la chambre, les plia et les posa soigneusement sur le dossier d’une chaise contre le lit, non sans avoir épousseté une peluche sur le tissu.

 

Je ne sais plus son nom : c’était une grande fille qui roulait des épaules et avait un air pas très heureux ; sa conversation était marquée par cette sorte de sincérité désolée qu’il recherchait et qui lui plut quelques jours, elle avait des poils aux fesses sur lesquels il soufflait tendrement, pour la décontracter. Va te faire greffer, était selon elle une plaisanterie coutumière à son égard.

 

Je ne sais plus son nom : elle avait mis une couche excessive de pommade pour cacher un bouton sur sa joue. Un long poil s’était pris dans la pommade. Sa vie apparut aussi ennuyeuse que le récit d’un rêve. Il cessait instantanément de la désirer.

 

Je ne sais plus son nom : elle lui rendait visite et s’étonnait de ses réticences, quand il s’est rendu à ses questions, n’en parut pas choqué et prit tout le fruit dans sa bouche, avec componction et une délicatesse qu’il ne lui connaissait pas.

Il en tirait un plaisir délicieux, raffiné, et pensait garder mes crêtes de coq.

 

Il y a des voix d’épouse.

 

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Publié le par Michel Castanier

V

Ne forcer jamais rien. Ne faire que passer.

À cloche-pied. À saute-moutons. En glissade. Dessus-dessous.

Josette

Josette était une trotskiste : elle était continuellement indignée.

Enlevez-lui l’indignation ; elle n’était plus rien, toute déconcertée. Parlez-lui de sport, d’urbanisme, de littérature, des îles Canaries, des îles de nimbus ! elle est dédaigneuse, soupçonneuse, cherche la petite bête politique. Il n’y a de trotskiste que de son clan, de sa tribu, de sa secte, où ils sont une dizaine. Il n’y a vraiment pour elle leurs réunions où ils se confirment mutuellement leur écœurement et dans leurs manifestations de rue – où leur petit groupe est en léger retrait goguenard par rapport au défilé.

Le Grand Soir a eu lieu, comme l’orgasme ; elle ne l’a pas reconnu.

 

J’ai manifesté aujourd’hui 1er mai. J’ai écrit manifestement.

 

 

VI

Il se dit (je veux le croire) que les rousses sont les descendantes des néanderthaliennes. Ayant été atrocement amoureux d'une rousse je défendrai d'arrache-pied le suprémacisme néanderthalien.

La mauvaise foi est chez moi imperturbable. 

 

La tendre voix murmurait à mon oreille dans la nuit. Nous étions convenus de ces appels et je les attendais avec joie et m’y préparais

– murmurant à mon tour –

craignant de réveiller son mari dans la chambre.

 

Incident

L’autocar convoyait vers la plage un couple de rouquins. Le couple était imbriqué dans un baiser – nœud de muscles aussi inextricable qu’incompréhensible. Il y avait de quoi s’étonner qu’elle ne voie pas qu’il est un gros garçon naïf plein de maïs, d’avoine et de toutes sortes de nourritures lactées saines et fades,

mais c’est ainsi, elle aime. Sa bouche, à elle, est toute rouge et gonflée des baisers qu’il lui donne, vorace,

– Or, voici le car traverser le fleuve à l’entrée d’un village, comme c’est curieux, car ils se défont l’un de l’autre, leur visage s’écarte, leurs yeux se vident de contentement, et ils ne regardent pas la même rive.

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Publié le par Michel Castanier

III

 

En érotisme rien n’est supérieur au pas lent du tubatophone de la fanfare de la Légion étrangère.

 

Souvenirs d’un voyage à l’Intérieur

À peine arrivé dans ces lieux sauvages qui se gardaient par un service d’autocars incohérent et raréfié, je lui parlais de mon livre – récemment édité – qui relatait l’histoire de nos amours comme de « L’Amant de Lady Chaterley » revu par Bouvard et Pécuchet.

Pas si mal ?

Un peu fat ?

 

Ce conte tendre et désemparé ! En somme Allégresse en pays de Mélancolie ! qui ne prétendrait pour rien du monde au pavé dans la mare littéraire, juste à quelques ricochets ! Un coup de dés heureux – la chance des écrivains mineurs, des petits maîtres ! Champagne ! Bulles !

 

Je regardais ce jardin ravagé par l’hiver, ces pièces immobiles où ne sont que réflexions amenées par l’ennui au fil d’une après-midi entre deux accouplements.

 

Ma nature : extrêmement gai et totalement déprimé.

 

IV

 

À chaque évènement ou saut qualitatif la personne change le mobilier mental de place.

Rien ne change dans l’expression de son visage. Seul bouge le visage sous notre visage.

 

Mille-pattes

Ce qu’il y a d’épidermique dans les réseaux sociaux – si justement dit la Toile – est que la correspondance amoureuse est d’une grande puérilité à l’œuvre. Une atmosphère et des états de maternelle en délire. Grosses colères, ruades, réclamations éperdues, injures folles et lourds sanglots entre personnes qui ne se connaissent absolument pas.

Labyrinthes. Labyrinthes dans des labyrinthes.

 

Comme chacun sait, l’araignée-banane dont le singulier venin détient un pouvoir érectile n’a de conscience qu’à l’agitation menue des mouches qui secouent son réseau de soie si délicate. Occasion d’un peu moins d’indifférence, les soubresauts des filets qu’elle observe avec réticence,

puis une vague curiosité.

Et pourtant, je m’approchais, suis bête quelquefois. Elle faisait des mines, tendait ses mille petites pattes, réclamait un… Comprends pas. Elle réclamait un « bisou » – et, quand je me penchais, suis si bête, elle me mordit la joue.

 

Les pervers – tous occupés à lier dans leurs filets – se soucient plus de leurs nœuds que de leur proie.

 

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Publié le par Michel Castanier

II

Ce qu’était Malvina la Rousse ? Une hallucination. Ce que sera Apollonia la toute blonde ? Une autosuggestion. Mélancholia la ténébreuse ? Une goutte de cire brûlante sur la poitrine de la constance d’Eros. Ainsi par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel féminin.

Nous ne sommes qu’une girouette de réactions : l’autre nous souffle dessus. Un miroir aux gentilles alouettes ! Ce dispositif de petits reflets où viennent se prendre les uns les autres, avides de se voir les uns dans les autres et pas très capables de percevoir l’oiseleur – chose séduisante mais trompeuse, nous dit le dictionnaire.

L’amour est un second mouvement, un apprentissage, une reconnaissance. La vie est un tel gâchis de délicatesses et de privilèges.

 

Bénédicte

La jeune Normande était une idéaliste bonne et douce mais sensuelle. Sa seule franche originalité était son goût des sagas islandaises pour lesquelles elle faisait des études norroises à la Sorbonne auprès de Régis Boyer. Elle les devait à sa persuasion d’avoir des origines Vikings autant qu’à son énigmatique nostalgie et une rêverie brumeuse.

Elle s’appelait Bénédicte et parlait le Bénédicte couramment : un langage approximatif

– où le vocabulaire était le résultat d’une Roue de la fortune tournée à tour de bras –

qu’elle alla enseigner au Danemark dans une université d’où nous vinrent par la suite des touristes danois visiter le beau pays des Bénédicte.

Un peu étonnés, tout de même, de se retrouver au Moulin rouge quand ils cherchaient le musée d’Orsay.

 

Invitation sentimentale

Il y avait chez Doriane des vitraux délicieux à la porte qui donnait dans le jardin où nous prenions le thé vers minuit. Je ne soupçonnais pas ce que sa chair aurait de dense au point que je ne pouvais lui mordre les fesses. Elle avait imaginé de m’apporter le café au lit. Il n’en sera rien, bien sûr. Je la tenais dans mes bras au matin sur la terrasse où la pluie avait baigné les pots de plantes grasses. Nos haleines avaient un fleuret corrompu dans la fraîcheur de l’air automnal. Il y avait en elle une mélancolie d’épouse.

Il y aura en moi le regret des vitraux.

 

Note bleue

Sylvette était inabordable, si j’ose dire.

Je l’ai su très tôt, elle m’en avait averti parce qu’elle était honnête et avait du respect pour moi. Depuis son enfance elle était amoureuse du second violon de l’orchestre de Philadelphie qu’elle n’avait jamais vu mais dont le son reconnaissable entre tous la laissait éperdument transie. C’était dit sur un ton farouche et sans critique possible – fût-elle musicologique. Je m’y conformai parce que j’avais de la tendresse pour elle et une sorte de compassion émue. Nous écoutions ensemble à la radio des symphonies où ce monsieur était de l’orchestre, je ne le distinguai jamais, je l’entrevoyais si les yeux de Sylvette en venaient à se révulser, sa poitrine haleter, ses joues pâlir.

N’ayant pas l’oreille musicale je n’étais pas jaloux. Un cymbaliste aurait été gênant.

à suivre dans :

http ://impeccablemichelcastanier.over-blog.com

http ://recit-page.fr/

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