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Publié par Michel Castanier

Le Cercle des Explorateurs Enthousiastes : Merveilles de la Création – 1

Un point d'Histoire

L’homme-singe de Sumatra [cote RAE] En cours de réfection.

Le 1er pluviôse an IV, le lot 2133 de la vente aux enchères de la collection du comte de Bazane qui a lieu à la Rochelle attire l’attention de Donatien-Alphonse-François Style, un garçon ambitieux et déterminé.

L’homme-singe de Sumatra lui coûte seize louis. L’admirable curiosité est empaillée et quelque peu affaissée sur ses antérieurs. On l’étaie avec des tuteurs. Le prodige est parfumé comme un petit marquis pour chasser l’odeur pénible qui s’en dégage.

Plusieurs spécimens des Triomphes de la Raison sur l’Ancien Monde trônent dans le Cabinet des curiosités du duc de Berry un chariot bâché assez semblable à ce que seront les prairie schooners des pionniers de l’Ouest et qui suit désormais la roulotte de la Genèse.

Animaux terrifiants, Etres mythiques et Monstres du pays des Géants accompagnent la Grande Armée dans sa louable entreprise de libérer l’Europe de la Tyrannie. Donatien-Alphonse-François – d’un tempérament artiste – s’est découvert entretemps des dons de trapéziste. Il évolue à ciel ouvert devant l’établissement commercial, ce qui lui permet d’être visible de loin dans les champs où les paysannes libérées moissonnent.

Le génie c’est l’erreur dans le système – Gaston Klee

Considérons cette vidéo prise par notre équipe de com­munication au retour d’une exploration particulière­ment ha­sardeuse : nous sommes dans la fameuse roulotte de la Genèse. La pénombre se teinte du reflet du cuir des sièges, des boi­series en bois de chêne, de la couleur dorée des vi­traux de par­chemin huilé, des volumens de papyrus et des vi­trines pâles où veillent les formes inachevées des monstres et énigmes de la science. Un peu de vent anime des cou­rants froids qui soufflè­tent la porte et rappellent à l’intérieur du vieux sanc­tuaire qu’on est en hi­ver.

L’illustre professeur Ulysse S. Style, président du Cercle des Explorateurs Enthousiastes, la tête penchée dans le mé­daillon de lumière d’un vitrail jaune, entouré de quelques ar­tistes émé­rites, lit une tablette d’argile posée sur un lutrin.

L’incompa­rable géographe lève enfin ses beaux yeux, daigne remarquer la caméra et poursuit alors sa méditation à haute voix : après un bref historique de ses œuvres et de sa pensée, il loue les futurs développements de nos voyages.

– La vision n’est jamais qu’une perception précon­çue : un co­dage des vieilles habitudes de la conscience. Vous voyez ex­clusi­ve­ment ce que vous vous atten­dez à voir...

– Ha bon ? dit l’homme-caméléon, qui se dé­tache à peine du lutrin.

– Mon cher Arsène, reprend le président après s’être es­suyé la joue avec un fin mouchoir de batiste, et vous, mes doux amis, l’univers que vous avez connu dans un premier temps – que vos sens d’enfant ont exploré – est-il, avec l’âge, autre chose qu’une idée fixe ? Son­gez avec con­fiance aux ter­rae inco­gnitae de nos ancêtres, à leur concep­tion du bord de l’uni­vers et des eaux qui s’y engouf­frent – là où sont les monstres, disent les parchemins. C’est là que nous al­lons.

Cet aventurier de l’esprit – sur ces mots extraor­di­naires – quitte le champ de la caméra, un rai de lu­mière éclaire le pupitre, une porte claque et tout s’éteint.

– Quels monstres ?

Aimable Simplicité du monde nouveau

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Le Cercle des Explorateurs Enthou­siastes est à présent un salon cossu sous un vaste pavillon de toile blanche dans le patio de l’immeuble administratif. Ivoires, santal, ambre, draps d’or et de soie sont la moindre des choses pour le confort des voyageurs de­puis que nous avons ouvert les portes en cristal de la Connais­sance.

Tapisseries somp­tueuses, meubles aristo­cra­tiques, tentu­res de harem et de vastes fauteuils de cuir roux dans des en­claves de plantes grasses encerclent les tables basses cou­vertes de rouleaux égyptiens, d’inestimables parchemins en peau de porc dégraissée de la plus fine texture, de fiasques du sin­gle malt de l’île d’Islay vieilli en fûts de sherry, de distil­lations d’eau-de-vie par les meilleurs bouil­leurs de cru alsa­cien, de la te­quila de Guana­juato, née de la brû­lure de l’éclair sur l’agave, ou des tonnelets du co­gnac Louis XIII, dû au tou­cher raf­finé des maîtres de chai sur les rai­sins de la Grande Champagne – rien n’est trop beau pour les har­dis explorateurs au retour du monde interstitiel.

Les cartes aux murs de la Tente des expéditions fi­gu­rent des terres in­connues. Cer­tains terri­toires sont déjà qua­drillés, numé­rotés et identifiés sous des noms fami­liers : Rivière de la Femme-python, Téton de la Femme-crocodile, Bois de la Femme-araignée, Motte de la Femme-girafe. La plu­part ne sont en­core que des espaces vierges. Les infatigables arpenteurs carto­graphient toujours la zone, étu­dient les mouvements des sables, répertorient la végéta­tion.

Les Terres intermédiaires s’accroissent à la vue – leur rhi­zome se diversifiant d’une multitude de ramifica­tions in­s­tables et mo­biles : de paysages en suspension, de con­trées jusqu’alors inaper­çues et qui transparaissent et s’augmentent sans cesse de nou­velles branches, de nou­velles feuilles, de nou­veaux ombrages.

– C’est se débattre dans une sorte d’arborescence, dit mon­sieur Henri, le jardinier-paysagiste du Cercle, qui tient un barbecue improvisé dans le patio. Chaque feuille a son en­vers pa­reille­ment mo­delé mais plus pâle, nervuré au­trement – comme la paume si blanche de la main d’Anthracite, notre beau Rwandais. Chaque terre connue – rues, mai­sons, squares, quartiers – a son pay­sage invi­sible de­venu sen­sible.

Là-dessus, ce vétéran chevronné des Voyages s’endort debout, le front contre la clôture du jardin.

Une amitié potagère

Ce même Henri réussit, non sans une admi­ra­ble pa­tience, à mettre en pot sous la Tente des expéditions une créature des plus singu­lières : un être vé­gé­tal main­tenu à un de­gré correct d’hy­grométrie grâce à une irri­ga­tion cons­tante. L’homoncule est placé sur le comptoir du bar amé­ri­cain, qui possède à l’autre extrémité de son étrave une figure de proue : le buste de Neptune, composition de bois assez semblable à un masque oriental – mais qui a une bouffarde à la bouche et un perroquet de cristal sur l’épaule.

Les bras de la créature, en été, por­tent des fruits sa­vou­reux et ses feuilles ont, se­lon monsieur Henri, qui l’aime bien, une va­leur cura­tive et les mê­mes ef­fets que la ca­momille. L’Homme-poireau – ainsi que l’appelle Jules, l’Homme le plus fort du monde, avec son humour bien connu – nous tient com­pa­gnie au club, parmi des confrères plus discrète­ment vé­gé­taux. Il a la ma­nie de crier Kaï Kaï de façon lugubre si quelqu’un se débar­rasse des cendres de son tabac dans la terre qui le nour­rit, mais il n’est pas autrement déran­geant, garde une mé­lan­co­lie bien à lui et se tait la plu­part du temps.

Ulysse ne se maîtrise plus à ce su­jet.

– Que se passe-t-il, professeur ?

– Ainsi les légumes ont une âme et nous parlent. La conti­nuité du monde humain, animal et végé­tal est as­su­rée. Nous avons dé­couvert un labo­ratoire biologi­que im­pressionnant ! Nous voici à la pointe du génie génétique ! dans l’anti­chambre de la vie !

Style ne prend pas, comme à son habitude, toute la mesure des conséquences de sa pensée. Les Nains jaunes – les 7 fils de Pollock qui assurent l’entretien des sous-sols du Cercle – paraissent réser­vés.

– On n’est pas démunis de ce côté-là, dit madame Ernestine, du bureau des réclamations, la femme-léopard dont les yeux bleuissent quand on lui fait l’amour.

La fumée de nos cigarettes a un effet dé­sas­treux, car, un matin, après s’être défraî­chi à la suite des soirées de beu­veries, l’homme-poireau se déta­che de son pot et tombe au sol comme un légume blet.

Sa perte apparaît trop tard un sinistre présage que nous n’avons pas su déchiffrer.

(à suivre)

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