L’Hypothèse impossible III Les membres, honorables invités et sociétaires de la Maison Nogre – 9
La veille, il y avait eu du côté du bois de grands bruits de marteaux et de branches effondrées qui avaient duré toute l’après-midi, et j’avais vu, depuis le mur d’enceinte de l’asile, oncle Morse parcourir le parc dans les deux sens à plusieurs reprises. Le soir même, il habitait un chêne. Il avait construit là-haut une cabane ombragée, bien ventilée, solide et assez confortable sinon cossue – munie d’une plate-forme de planches d’où il avait interpellé les rares curieux. Sortis de l’asile par la poterne bleue qui donnait sur le parc, nous nous tenions à distance, mon guide et moi. Morse avait expliqué pour quelques membres de l’Office s’être mis à l’abri des bêtes sauvages et de toutes sortes d’ennuis possibles.
« L’entreprise était colossale pour un homme seul, avait-il dit, assis sur le bord de la plate-forme, les jambes nues caressées par l’air frais. Mais une nécessité absolue m’obligeait de l’exécuter. Mon premier soin fut de… »
Sa voix s’était perdue dans les bois où la plupart d’entre nous se dispersaient rapidement, morts d’ennui. Morse était sorti au cours de la nuit sur le seuil de sa hutte, et nous étions encore là, mon guide et moi. La lune imbibée d’eau luisait faiblement entre les branches du chêne. Le parc faisait au loin une vague tache claire, comme la présence d’une rivière. Morse avait proclamé – à haute voix mais en aparté pour lui-même (il semble souvent aimer parler seul) – que le ciel allait se dégager enfin, qu’il ne pleuvrait plus, qu’il faisait déjà moins chaud, grâce à la pluie, qu’un peu de brise ...
Mon guide, sans doute gagné par une vague lassitude, m’avait convié à me reposer et nous avions quitté cet homme étrange. Morse était en tout cas très satisfait au matin quand il se joignit à la Maison Nogre pour son thé.
Un bouquet de visages roses s’épanouit d'un massif de gypsophiles rampantes. C’étaient – d’après mes souvenirs des descriptions minutieuses de Virgile – Sophie, Berthe, Ayatollah, Céleste et Pouf Pouf. Elles firent des petits signes affectueux, enjoués. A leur tour, les oncles et cousins saluèrent avec bienveillance, longtemps.
« Qu’est-ce qu’elles font ?
– Elles nous surveillent. »
Le parc était à moitié dans l’ombre du château. Les membres, sociétaires et alliés de la Maison Nogre interrompaient parfois leur aimable activité pour contempler au-dessus des murs d’enceinte de l’asile un envol brusque de mouettes qui se dispersaient en piaillant loin de la tour de la bibliothèque.
Un nuage minuscule apparut à l’est du château.
« Le baron est à l’asile ?
– On peut dire ça comme ça. »
Le nuage se répandit dans le ciel ainsi que dans une tasse de thé bleue. Le son grave et pur d’une cloche d’église passa. Le vent s’arrêta. Il retint son souffle.
Une mouette engluée de peinture jaune citron traversa péniblement le ciel du parc d’est en ouest.
[à suivre]