L’Hypothèse impossible VI Illogistiques des fêtes de la nuit – 13
Fiodor Antonovitch Verkhovensky
Voici que deux personnes déambulaient dans les cours de l’asile comme si de rien n’était.
– Il se peut que je rêve, Berthe, mais je ne savais pas qu’il fasse si froid dans les rêves.
– T’es pas très doué pour les compliments. Mais voilà, tu ne rêves pas, Tintin, puisque tu es à l’asile avec moi.
Ils passèrent devant la salle des fêtes. Fiodor distingua la blancheur de visages aux encoignures sombres des fenêtres. Une rangée de fronts à la limite d’une rampe de terrasse. Des petits groupes postés à des balcons… Une ombre tapie derrière une croisée ouverte s’effondra sur elle-même et se tassa, le bras appuyé au rebord. Le journaliste s’approcha avec prudence. De la brume flottait aux alentours (était-elle naturelle ?). Ces gens étaient pour la plupart vêtus d’une chemise de chanvre grise, chaussés de sabots, un mouchoir à carreaux sur la tête, noué aux coins. Il n’était pas prévu, d’après le programme communiqué au Clairon, que les participants du Bal masqué quittent le château et son petit bois. Que faisaient ces masques – de paysans ou d’aliénés – dans l’asile ? Fiodor dut enjamber le corps d’un garçon effondré contre une vieille roue de chariot, contourner une femme allongée sur les pavés, la tête à la renverse. Le journaliste perçut enfin un léger ronflement.
– As-tu sommeil, Berthe ? Nous devrions dormir si des machines à fumigènes dégageaient un gaz soporifique…
– Alors, nous rêvons que nous ne dormons pas. Sophie dit que nous rêvons que nous rêvons… Elle pense qu’en fait nous dormons tout le temps et Camomille est d’accord avec elle sur ce point. Ah ! Si au moins tout ça me faisait rire !
[à suivre]