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Publié par Michel Castanier

conte fantastique
[d’Alfred Kubin-]

 

 

L’Office

 

Ce jour-là, les sœurs avaient eu une dispute au sujet de l’usage du mon­sieur bavard quand elles l’eurent enfermé dans le cellier avec le policier terrible mais terrible ! Mandibule avait fait va­loir que c’était une chair tout de même trop avancée pour les goûts gas­tronomiques de Popa. On s’était ré­solu à con­ser­ver le guide jusqu’à ce que l’occasion se présente de le fu­mer.

Un corps humain c’est comme un œuf dur, mes en­fants, dit Mandibule, une humaniste comme on n’en fait peu, il faut de la pa­tience, le fee­ling, avant que la co­quille soit déta­chable, je veux dire la peau, quand on l’ébouillante dans une des formidables marmites des cuisines de l’asile, et la déta­che.

On va le préparer, précisa Ayatollah. Il ma­rinera.

Or Pouf Pouf avait eu une autre idée et agi en cachette, profitant de ce que le personnel des cuisines s’absorbait dans un jeu idiot. Il fut finale­ment décidé à la vue du corps givré de Virgile dans le frigo que Pouf Pouf avait eu rai­son et que tout était bien.

– On en fera des sorbets, dit Varicelle.

Les fillettes se détendirent. Les gosses exigent d’être ras­su­rés et ils aiment contribuer à la vie de la collectivité, avec bonne volonté.

 

Une certaine lourdeur des paupières tombant sur un re­gard chargé dab­sence, la nou­nou contemplait l’abominable pardes­sus jaune dans le réfrigérateur. Un petit tic était apparu au coin de ses lèvres.

Pour linstant, dit-elle, il ny a qu’à condamner la cui­sine en at­tendant la police. On avisera après.

On condamne ! On condamne ! dit Gaspard, l’Économe, qui jeta ses cartes en lair (une paire de deux in­signifiante). Et on va jouer ailleurs ! Tu es forte, très forte !

Je n’apprécie pas trop que tu dises que je suis forte, hein ?

Barberine, la troisième femme de chambre, sappuya contre la poi­trine de la nounou, comme on repousse un meuble.

Pas de ça, Godzilla, dit-elle, d’un ton neutre. Tu ferais mieux de surveiller les filles !

Je suis pas forte, dit la nounou, en séloignant de l’Économe, cest Gaspard, ton frère à toi, Barberine, alors je lui ferai pas de mal, je suis gentille, tu vois ? Et pas forte. Al­lez, les gosses, on s’en va.

Elle est à bout de cerfs, chuchota Narcisse.

La petite Sophie, surgie entre eux, essuya ses fines lu­nettes rondes em­buées et dit que bon, alors ?

Quest-ce qu’elle a fait pour qu’on la condamne, la cui­sine ?

Elle ne tenait son grand caractère que de ce qu’elle ne voyait jamais à peu près rien de ce qui se passait, à bien y réfléchir. Mais, somme toute, elle n’avait pas tort.

Cest vrai, ça, dit Céleste. Quelle barbarie !

Archibald, très intéressé, gratta le haut du crâne de Céleste, en témoignage destime sans doute. Elle ho­cha exa­gé­ré­ment la tête de tous côtés, comme si une méca­nique s’était dé­réglée à sa nuque, et réussit à mordre lindex du cui­si­nier. Il lui courut après, suivi à toute vitesse par le personnel de lOffice en rang serré, puis par les sœurs. Leur pe­tit groupe animé ne fut bientôt qu’un globule instable dans les cou­loirs du château.

La porte avait pi­voté à plusieurs reprises et si rapi­de­ment que Godzilla sen­tit un souffle lui ébouriffer les che­veux.

Aime pas qu’on me crie après.

Elle lissa, du bout des doigts.

– Aime pas plus le dé­sor­dre.

– Justement, dit la voix de Narcisse. Ça serait pas mal si tu me délivrais de mes chaînes ?

 

[à suivre]

 

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