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Publié par Michel Castanier

conte fantastique
[de Kenne Grégoire]

 

La Chambre de l’Ogre

 

Il est une fois un Tableau vivant dans les profon­deurs de la terre. Depuis l’aube des temps la vrille y prolifère démesuré­ment. Le parquet verni s’est dis­joint. Une végétation grise se prend à l’énorme cadre. Il y a là-dedans continuellement des bruits de suc­cions. La végé­ta­tion déli­rante n’est plus qu’un énorme buisson où appa­raît de temps à autre la face énorme, en suspen­sion dans ses sangles, bour­geon­nant parmi le réseau des épines et les ra­cines tor­dues.

 

ON ne s’amuse plus. On ne s’ennuie pas pour autant mais on ne s’amuse plus du tout. C’est que la chose est grave. Le peintre a dispersé le Corps par tous les tableaux du Mu­sée de l’Imaginaire : un ŒIL immense par ci, un DOIGT par là, toute une MAIN, une BOUCHE – en sorte qu’on ne puisse se reconstituer. Et faire tout le mal qu’on peut.

Ce corps de l’Ogre une fois fragmenté, il est aussi impuis­sant que Gulliver para­lysé par les liens des Lillipu­tiens. Il est flottant et, sa nocivité contenue, n’apparaît que par moments, par places, par an­neaux monstrueux dans les cours de l’asile représentées dans les tableaux du musée souterrain comme dans des cachots.

ON a interminablement des dé­placements mornes de balan­çoire dans l’immense cadre doré. Les ogrettes ont toujours eu du mal à conte­nir l’appétit de ce qui ha­lène dans l’entrée du Palais de terre, peint avec une minutie de peintre précieux.

On a faim.

On récla­me.

 

Il y a chez le gosse élu une intuition très maligne des en­nuis à venir – il a le regard morne des bêtes qu’on traîne à l’abattoir. Et pas la moindre confiance dans les propos ré­con­for­tants des fées, les pe­tites lucioles gentilles qui lui ont long­temps murmuré aux oreilles. Le pauvre gamin du vil­lage, chassé et pris au filet dans les forêts du château, s’agrippe à l’encadre­ment du ta­bleau. C’est terrible à voir. Et à entendre.

 

A la vue de la grosse prunelle rose qui observe avec une sorte de com­ponc­tion au milieu du feuillage, comment ne pas s’évanouir ?

Quelque chose grince – une gi­rouette rouil­lée.

C’est un rire.

L’émail crisse à cause du frotte­ment conti­nuel des mâchoi­res l’une sur l’autre.

ON a un broyeur dans la bouche.

On es­suie ses mains immenses.

Ces gos­ses, ils tachent !

 

Parfois, ON veut qu’il soit farci. Il y a, à cet ef­fet, une pe­tite chaise de nur­serie où l’enfant est at­trapé à des sangles, maintenu im­mo­bile dans un sys­tème complexe de la­cets et boucles. ON a du plaisir à voir manger le petit, le tout petite, un si grand plai­sir, on rit, une sorte de rire, et parfois, faisant dé­blo­quer les en­traves, on le ba­lance sur ses genoux.

Rien ne vous habituerait à la pré­sence de l’Ogre. Les gamins sont terrifiés et le plus souvent s’évanouis­sent à sa seule vue. À son odeur. Après quoi ils préfè­rent ne plus se réveiller. Ils de­meurent dans une tor­peur sans fond. L’Ogre leur déguste le ventre à pe­tites bou­chées.

 

Depuis l’aube des temps c’est aux ogrettes de les préparer. Elles ont l’art d’accommoder la sauce assez épicée. Il y va de l’Appétit formidable de la Bête – qu’il faut nour­rir et contrôler. Ou bien, si elles n’ont pas le temps, elles servent son plat préféré en tartare !

Les ogrettes, venues présenter le menu, le menu menu, ont toujours très vite fait demi-tour, dociles, pas mécon­tentes de fuir cette odeur et leur peur d’être attrapées à leur tour.

 

 

[à suivre]

 

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