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Publié par Michel Castanier

Fiction mystérieuse, Satire, Comédies, Personnage de fiction, Roman d'aventures, Nouvelle, Littérature, romans policiers, Prose, Récit, Fantastique, Comédie dramatique, Humour, Roman (littérature)
[Chiharu Shiota]

 

Quand même

 

1

 

Quelqu’un avait meulé Clément sur la pierre à aiguiser dans le grand han­gar des outils de jardinage. Tout un travail de longue patience, de minutieuse haine, un bon métier de bourreau métho­dique. Il restait à espérer qu’il fût mort auparavant, mais c’était probable, les hurlements auraient été entendus sur les terrasses, et puis personne ne se laisse faire comme ça, il aurait fallu une force surhumaine pour contenir tant de douleur, ou la force d’une énorme bêtise très humaine.

– Un raciste.

Aloysius avait parlé dans le silence, quasi contre.

– Tu n’as rien de mieux ?

L’impatience de Max était justifiée. Au fait, il tutoyait tout le monde, main­tenant. Il était descendu de son grand âge, on était copains, après tout il baisait une de nos copines, j’avais envie de … Je n’avais envie de rien. Aloysius, n’avait pas tort, bien sûr, mais miso­gynie et racisme étaient des compartiments du pro­blème mental qu’était l’assassin : la maladie de la haine – et de la peur. Des nœuds nécrosés dans sa pauvre pensée, deux des pattes du scolo­pendre de sa folie.

 

 

2

 

Certains, comme Claire, étaient allés voir la meule, je n’en étais pas, j’ai l’imagination douillette. Il n’était plus moyen de placer le corps dans le congélateur, non par décence pour ces dames, mais il n’y avait plus autant de place – contrairement à ce que j’ai prétendu, mais j’aime me contredire. Il y avait un entre­pôt pour les pommes en voie de départ. Il détenait une sorte de fraîcheur qui convenait.

Des piles de cageots de fruits.

Un corps enve­loppé dans un drap.

Des piles de cageots de fruits.

On s’est tenus un long moment alignés devant les pommes.

 

 

3

 

Nous ne savions plus quoi dire, en fait.

Et devinez quoi, on s’est réfugiés devant la télévision, notre mère première. Il n’y eut personne pour rappeler qu’on y passait que du différé, du déjà vu, on le savait bien, on l’avait toujours su. Il n’y avait pas grand-chose à faire, comme d’habi­tude. Rien d’autre, comme d’habitude, que d’interroger éperdument cet écran et d’en extraire un sens qui aurait permis de tout com­prendre, bien et tout. Et toujours pas nos chères publicités pleines de bonne humeur, pas la moindre série hallucinogène avec morts-vivants en petite forme, pas même une comédie de camping bien française et absolument hilarante. Calicots avec fautes d'orthographe flot­tantes, bombes ar­tisanales, poubelles en feu, bouf­fées de gaz lacrymogène et trombes d'eau. Des jeunes gens héroïques en tee shirt Venez comme vous êtes défiaient sous leur nez une rangée de messieurs imper­turbables, des sortes d’extraterrestres tout en noir, les yeux fous de rage sous la vi­sière plexiglass. Goldorak était de la partie pour faire plaisir au petit.

Était-ce avant nos malheurs ? Était-ce après ? On n’avait pas mis le son, d’un commun ac­cord, le son nous désespérait, toute cette vie en dehors de notre vie, nous étions calmes, nous n’avions pas faim, nous ne parlions pas, nous ne protestions pas, nous n’ap­pelions à rien.

 

[à suivre]

 

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