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Publié par Michel Castanier

[Catrin Welz-Stein]

 

Puis

 

 

1

 

Nous avons été d'autant plus long à identifier la vraie nature du mal qu'elle se confondait insensiblement avec l'abus d'alcool et d’anxiolytiques ou de coke, je l’ai admis pendant l’instruction et je crois vous l’avoir déjà rap­porté. Ainsi la maladie incurable s’avance mas­quée sous une légère fatigue qui aug­mente jusqu’à l’épui­sement de tout espoir.

La pluie remit à plus tard de se déverser sur la ferme. Le soleil écarta d’une main les nuages, et de l’autre pointa le doigt sur le Mont blanc qui en fut irra­dié, étincela et prit des airs augustes de signe céleste.

Il n’était pourtant pas question de monter sur ses pentes à la rencontre de Dieu. Nous aurions dû. Zaza et Léo n’avaient peut-être pas tort, il n’y avait rien à faire et donc rien de mieux qu’aller mourir dans le blanc de la neige : dans la marge du grand livre humain sous l’écri­ture du dieu, mais voilà, pas de lyrisme, foin de cabotinage, les hommes sont petits, ils veulent continuer à scribouiller dans leur cellule alors qu’ils ne sont que de l’encre dont on fait les pâtés d’encre.

Mon humeur morose n’étonnera pas, le choux est passé mais non l’af­freuse mémoire renaissante de ces journées de campagne dont j’ai à poursuivre avec tant d’hésitations la relation – et pourtant, si je vous dois pour une fois d’en cesser avec une certaine mau­vaise foi, cette horreur dont vous ne recevez que des échos amoindris fut en fait ce que j’ai vécu dans ma vie de plus intense, de plus fort, de plus énivrant – à l’exception de ma ren­contre virginale avec Claire. Mon désarroi actuel est de ne plus en être.

 

 

2

 

Claire, justement. Elle passa dans l’encadrement de la fenêtre à sa chambre, cela se produisit plusieurs fois, elle rangeait sans doute les affaires de Max. Il ne pouvait être ques­tion de troubler ce devoir de mémoire : empiler les slips du monsieur dans sa va­lise et la boucler comme on en finit avec un souvenir douteux. La chambre qui leur avait été attribuée par Fernand donnait sur la pi­nède. C’est là que je me tenais, adossé à un arbre, mâchonnant un brin d’herbe. Cette pose me convenait, il me semblait être le dernier d’une longue lignée d’amants romantiques adossés à quelque chose, une herbe à la bouche, rê­veurs sous une fe­nêtre anodine, bleutée par la lune.

Cette vacuité laisse l’esprit libre. La pensée fait des sauts de puce en tous sens. Le cré­puscule se glissa sous les buissons, grimpa aux arbres, s’en­fouit dans les cœurs. Le silence de la cam­pagne, le très réel silence de cette cam­pagne-là, ne m’inquiétait plus, je l’aimais. Le climat accompagne les humeurs des hommes comme le contrepoint dans la musique baroque, plu­vieux les jours de cimetière, ensoleillé les jours heureux, il sympathise, est amical ou mo­queur. Cette fois la campagne fut zen par son mu­tisme. Ayant l’esprit vide, j’étais forcément en état de méditation.

Je découvris alors – par un nouveau saut de puce morose qui retomba dans un bond de grenouille joyeuse sur un nénuphar – un lien commun à tous ces meurtres.

Marteau, machine agricole, meule, feu de feuilles mortes, râ­teau.

Le rébus  attendait d’être lu. Le coupable n’était plus notre ancienne amitié. Ce n’était pas YMPOH. Ce n’était pas un mau­vais rêve. C’étaient les outils de travail. Un agriculteur fou ! Un bouseux dément ! Normal !

À cet instant, un certain nombre de slips, chemises et chaus­settes passa à toute volée par la fenêtre de Claire.

 

[à suivre]

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