ORION – XXI Puis 1
Puis
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Nous avons été d'autant plus long à identifier la vraie nature du mal qu'elle se confondait insensiblement avec l'abus d'alcool et d’anxiolytiques ou de coke, je l’ai admis pendant l’instruction et je crois vous l’avoir déjà rapporté. Ainsi la maladie incurable s’avance masquée sous une légère fatigue qui augmente jusqu’à l’épuisement de tout espoir.
La pluie remit à plus tard de se déverser sur la ferme. Le soleil écarta d’une main les nuages, et de l’autre pointa le doigt sur le Mont blanc qui en fut irradié, étincela et prit des airs augustes de signe céleste.
Il n’était pourtant pas question de monter sur ses pentes à la rencontre de Dieu. Nous aurions dû. Zaza et Léo n’avaient peut-être pas tort, il n’y avait rien à faire et donc rien de mieux qu’aller mourir dans le blanc de la neige : dans la marge du grand livre humain sous l’écriture du dieu, mais voilà, pas de lyrisme, foin de cabotinage, les hommes sont petits, ils veulent continuer à scribouiller dans leur cellule alors qu’ils ne sont que de l’encre dont on fait les pâtés d’encre.
Mon humeur morose n’étonnera pas, le choux est passé mais non l’affreuse mémoire renaissante de ces journées de campagne dont j’ai à poursuivre avec tant d’hésitations la relation – et pourtant, si je vous dois pour une fois d’en cesser avec une certaine mauvaise foi, cette horreur dont vous ne recevez que des échos amoindris fut en fait ce que j’ai vécu dans ma vie de plus intense, de plus fort, de plus énivrant – à l’exception de ma rencontre virginale avec Claire. Mon désarroi actuel est de ne plus en être.
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Claire, justement. Elle passa dans l’encadrement de la fenêtre à sa chambre, cela se produisit plusieurs fois, elle rangeait sans doute les affaires de Max. Il ne pouvait être question de troubler ce devoir de mémoire : empiler les slips du monsieur dans sa valise et la boucler comme on en finit avec un souvenir douteux. La chambre qui leur avait été attribuée par Fernand donnait sur la pinède. C’est là que je me tenais, adossé à un arbre, mâchonnant un brin d’herbe. Cette pose me convenait, il me semblait être le dernier d’une longue lignée d’amants romantiques adossés à quelque chose, une herbe à la bouche, rêveurs sous une fenêtre anodine, bleutée par la lune.
Cette vacuité laisse l’esprit libre. La pensée fait des sauts de puce en tous sens. Le crépuscule se glissa sous les buissons, grimpa aux arbres, s’enfouit dans les cœurs. Le silence de la campagne, le très réel silence de cette campagne-là, ne m’inquiétait plus, je l’aimais. Le climat accompagne les humeurs des hommes comme le contrepoint dans la musique baroque, pluvieux les jours de cimetière, ensoleillé les jours heureux, il sympathise, est amical ou moqueur. Cette fois la campagne fut zen par son mutisme. Ayant l’esprit vide, j’étais forcément en état de méditation.
Je découvris alors – par un nouveau saut de puce morose qui retomba dans un bond de grenouille joyeuse sur un nénuphar – un lien commun à tous ces meurtres.
Marteau, machine agricole, meule, feu de feuilles mortes, râteau.
Le rébus attendait d’être lu. Le coupable n’était plus notre ancienne amitié. Ce n’était pas YMPOH. Ce n’était pas un mauvais rêve. C’étaient les outils de travail. Un agriculteur fou ! Un bouseux dément ! Normal !
À cet instant, un certain nombre de slips, chemises et chaussettes passa à toute volée par la fenêtre de Claire.
[à suivre]