Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Publié par Michel Castanier

 

UNE SAISON INQUIETE

 

C’est une dimension légendaire que prit le formi­dable por­tail bleu, enfin découvert dans l’enceinte de la propriét­é, assez élevé pour rappeler les portes que Justine pous­sait autrefois de tout son corps d’enfant, sa joue contre la joue tiède du bois, haussée de la pointe des pieds vers une poi­gnée plus vaste que sa paume.

Cette présence hautaine de bois bleu s’approfondit d’un mys­tère supplé­mentaire, plus déconcertant, après un dé­clic neutre (sans que soit perceptible la moindre caméra), quand la porte céda enfin, mais sur une petite partie d’elle-même : une encoche que Justine n’avait pas su discerner. La poterne lui paraissait telle­ment étroite et basse – à cause d’une évalua­tion men­tale irré­pressible et fausse de l’immense portique par rap­port à sa petite sœur in­cluse – que Justine (si minuscule) courba la tête en la passant pour, de l’autre côté, ne trouver que les bois et les gené­vriers se conti­nuant.

Le neutre déclic de la porte électriquement rabattue l’enfer­merait dans un nouveau labyrinthe de sapins et de buis­sons si, après quelques pas, il n’y avait eu là enfin un espace ci­vilisé : des statues entre les pins, un peu partout des vierges de marbre blanc vi­sant de leur arc tendu des sa­tyres do­dus entre les arbres, et bientôt, à hauteur des nuages, les deux œils-de-bœuf au fron­ton de ce qui devait être une vaste demeure, pareils aux orbites de deux cornes per­dues – enfin l’entame de cette allée de gra­vier où sauta, comme à pieds joints, un paon hé­rissé, crachotant, furieux.

 

 

LE ROI ET NOUS

 

Il avait été beaucoup attendu du futur grand homme au cours de sa jeu­nesse et le confiseur était de ceux qui avaient le plus espéré. On considé­rait unanimement dans notre petit entourage que l’adolescent pres­tigieux qu’était Paul serait un des premiers esprits de son temps. Cet op­timisme valorisait le cercle de ses intimes. Puisqu’eux-mêmes feraient défaut, se­lon toute vraisem­blance, qu’au moins l’un d’eux – Paul, ce génie en herbe – fût leur ambassa­deur : l’heu­reux élu habilité à parler en leur nom dans le rude monde de la pensée.

En somme les amis défilaient à sa porte – à cette porterie riche en frises étonnantes et de toute beauté – touristes éba­his. Du touriste, ils avaient l’in­compréhension radicale mais bien­veillante et la bonne volonté de qui en veut pour son argent.

– Cette hauteur de vue est ce qui répond chez Paul à sa défi­nition très per­sonnelle d’une aristocratie naturelle de la pensée, di­sait l’un.

– C’est son aristocratie, disait l’autre. Il est sa propre cour et sa conversat­ion est sa chaise à por­teur.

– Et nous, que sommes-nous dans son Versailles ?

– Sa galerie des glaces.

On attendit.

On attendait encore.

 

 

[à suivre]

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article