Le Pavillon des servitudes – Écrits croisés – 3
UNE SAISON INQUIETE
C’est une dimension légendaire que prit le formidable portail bleu, enfin découvert dans l’enceinte de la propriété, assez élevé pour rappeler les portes que Justine poussait autrefois de tout son corps d’enfant, sa joue contre la joue tiède du bois, haussée de la pointe des pieds vers une poignée plus vaste que sa paume.
Cette présence hautaine de bois bleu s’approfondit d’un mystère supplémentaire, plus déconcertant, après un déclic neutre (sans que soit perceptible la moindre caméra), quand la porte céda enfin, mais sur une petite partie d’elle-même : une encoche que Justine n’avait pas su discerner. La poterne lui paraissait tellement étroite et basse – à cause d’une évaluation mentale irrépressible et fausse de l’immense portique par rapport à sa petite sœur incluse – que Justine (si minuscule) courba la tête en la passant pour, de l’autre côté, ne trouver que les bois et les genévriers se continuant.
Le neutre déclic de la porte électriquement rabattue l’enfermerait dans un nouveau labyrinthe de sapins et de buissons si, après quelques pas, il n’y avait eu là enfin un espace civilisé : des statues entre les pins, un peu partout des vierges de marbre blanc visant de leur arc tendu des satyres dodus entre les arbres, et bientôt, à hauteur des nuages, les deux œils-de-bœuf au fronton de ce qui devait être une vaste demeure, pareils aux orbites de deux cornes perdues – enfin l’entame de cette allée de gravier où sauta, comme à pieds joints, un paon hérissé, crachotant, furieux.
LE ROI ET NOUS
Il avait été beaucoup attendu du futur grand homme au cours de sa jeunesse et le confiseur était de ceux qui avaient le plus espéré. On considérait unanimement dans notre petit entourage que l’adolescent prestigieux qu’était Paul serait un des premiers esprits de son temps. Cet optimisme valorisait le cercle de ses intimes. Puisqu’eux-mêmes feraient défaut, selon toute vraisemblance, qu’au moins l’un d’eux – Paul, ce génie en herbe – fût leur ambassadeur : l’heureux élu habilité à parler en leur nom dans le rude monde de la pensée.
En somme les amis défilaient à sa porte – à cette porterie riche en frises étonnantes et de toute beauté – touristes ébahis. Du touriste, ils avaient l’incompréhension radicale mais bienveillante et la bonne volonté de qui en veut pour son argent.
– Cette hauteur de vue est ce qui répond chez Paul à sa définition très personnelle d’une aristocratie naturelle de la pensée, disait l’un.
– C’est son aristocratie, disait l’autre. Il est sa propre cour et sa conversation est sa chaise à porteur.
– Et nous, que sommes-nous dans son Versailles ?
– Sa galerie des glaces.
On attendit.
On attendait encore.
[à suivre]