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Publié par Michel Castanier

 

UNE SAISON INQUIETE

 

Justine avait si gentiment apporté un modeste gâteau confectionné par sa grand-mère pour l’anniversaire du grand homme alors que le soir même une réception serait donnée pour l’occasion. Elle n’en sera pas. Les sœurs ont prétexté qu’on ne mélange pas le travail et le plaisir. Il n’a pas su leur résister. Il ne le sait jamais.

Il avait beaucoup plu dans la matinée. Les fumées de feu d’artifices des nuages continuaient de glisser du fond de l’horizon. Mamore était venu malgré le mauvais temps d’une des premières journées d’automne attendre Justine à la descente de l’autocar ; il roulait, son énorme dos voûté, une main placée sur la commande de la machine, rapportant amèrement les propos absurdes de ses filles.

– Pourquoi est-ce si nécessaire d’écrire ? dit Justine alors qu’ils s’approchaient du Pavillon des servitudes.

– Je ne sais pas, expliqua-t-il avec un sourire désabusé. Les dieux ne veulent pas que j’écrive, et moi je le dois

– Grand-Mère dit : quand Je dois le diable veut.

Mamore – parvenu sous la marquise du pavillon – avait un masque d’eau sur le visage. Elle lui retira ses lunettes et en essuya longuement les verres mouillés à une peau de chamois.

– Ce n’est plus possible, dit-elle.

– Quoi ? Qu’est-ce qui n’est plus possible ?  

Justine lui remit précautionneusement la monture et ressentit, comme une intimité prématurée, un petit malaise au contact du nez de l’infirme sous ses doigts.

– Vous souffrez trop.

– Mais pas du tout !

– Ça vous excite, dit-elle avec sévérité.

Sans se résoudre à faire le moindre pas à l’intérieur du pavillon (il lui semblait y avoir perdu soudain toute légitimité) elle se regarda au miroir mural accoté dans l’entrée – de ces glaces en pied qui permettent de vérifier une dernière fois sa tenue.

– Je vous en prie, vos filles ont raison : je vous ai dit des mensonges …

 – Comment ça ? Quelle horreur !

– Je n’ai jamais connu d’hommes. Jamais.  Ça ne serait pas bien, d’après Grand-mère... Je suis trop jeune.

Elle observait avec attention au bas de son reflet – comme situé à une distance incalculable – la tête lasse d’un vieil écrivain stérile, tapi dans le miroir obscur.

– Je vous ai raconté des bobards. Et puis j’ai voulu vous faire plaisir. Puisqu’il n’y a que ça en moi qui vous intéresse.  

Elle vérifia distraitement le maintien d’une courroie qui s’était distendue dans la merveilleuse machinerie.

– Ce n’était pas ce que vous désiriez ? Et mon imagination, alors ? Vous avez eu ce que vous appelez mes prémices ! Les prémices de mon imagination !   

Elle fit longtemps claquer à coups de talon l’eau des flaques devant le Pavillon des servitudes où le dispositif des sangles, des poids et des chaînes portait l’Auteur incomparable dans un sens puis dans l’autre, sans fin, criant des propos exaspérés au sujet de Justine, et de ses yeux

 

énormes ses gros yeux de libellule.

 

– Littératata ! cria-t-elle.

 

[à suivre]

 

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