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Publié par Michel Castanier

Tartare

 

La police des mœurs a recensé dans notre ville de province un grand nombre d’émotions et pensées profondes réparties entre 2 terrasses de café ombragées par des parasols publi­citaires et 1 square rond sous des chênes-lièges. 

Aucun montage n’a été satisfaisant.

C’est un casse-tête.

Un peu comme dans ces portraits reconstitués à partir d’une boîte de puzzle où il se trouverait par mégarde quelques pièces en trop

(des pièces relevant d’un autre portrait ou paysage ou mono­chromie),

la Ligue des vertus littéraires est peut-être en pré­sence de considérations, péro­raisons, plaintes et soupirs surnuméraires.

On s’interroge.

Identifier ces éléments en sur­plus et les adapter entre eux, serait-ce inquiétant ?

Un individu supplé­mentaire apparaîtrait ?

Quel être terrifiant ?

Et pourquoi pas plusieurs ?

Une légion ?

Ou un dieu ?...

Ou bien des pièces manquent. Ce n’en est pas moins pénible à envisager. La police des mœurs frôlerait les fron­tières de la folie.

 

______

 

Le vent souleva une toile d’araignée logée dans les nuages et il re­distri­bua savamment les étin­celles de soleil et l’ombre du balancement d’ombres de mouches sur les épaules des clients à l’intemporel Bistrot de l’Horloge, Tour de l’horloge. Ayant constaté que la pluie menaçait, mais que ce serait bon pour nos potagers, les habitués des lieux s’accordèrent à critiquer le nouvel Esprit du temps.

« Plus aucun livre lu, plus de regards rêveurs portés sur les passants, en particulier moi.

– Plus de sourire de complicité féminine en se croisant, – non, des têtes courbées sur un écran tactile.

– Des gens qui s’esclaffent et parlent haut.

– L’inculture qui se généra­lise en navrant Homo Sapiens Sapiens à l’esprit ripoliné.

– L’usage perdu de l’esprit critique.

– La violence à fleurs de peau et sa petite monnaie : l’incivilité.

– Les publicités surexci­tées qui nous tiennent pour des imbéciles, à juste titre.

– La stupidité hystérique des persua­sions poli­tiques qui laisse hébété.

– Les divertisse­ments qui nous encoconnent l’esprit.

– Le goût de ce qui est bas.

– Heureux l’insecte fameux qui naît, éjacule et meurt !

– Chez nous il n’y a que le pendu qui ait un peu de cette chance. »

On commanda une nouvelle tournée.

______

 

Comme chacun sait, l’araignée-banane n’a de conscience qu’à l’agitation menue des mouches qui se­couent sa toile. Occa­sion d’un peu moins d’in­différence, les soubresauts des fils de soie qu’elle observe avec réticence puis une vague curiosité.

Ainsi le comédien de lui-même qu’est un client aux terrasses méditerranéennes est-il une malheureuse marionnette qui s’agite à la moindre présence alen­tour – activité tirée par des ficelles sans qu’il en sache rien.

Il serait son propre public s’il maintenait haute la garde de sa vigilance et il restreindrait du moins cette agitation désarticulée, – mais le plus souvent il bouge sans conscience, et le marion­net­tiste qui le manipule

– modestes compagnons de vie, aimable commerçant, telle femme charmante posée à trois tables de là, ou bien ma propre discrétion der­rière  café au lait et carnet de notes –

le manipulateur est lui-même empêtré dans son propre réseau de ficelles qui,

imman­quablement,

s’emmêleront entre elles ou à d’autres éche­veaux et finiront,

enchevêtrés,

dans une brusque altercation à la propre surprise des vieux amis,

dans une rupture coléreuse sans beaucoup de raisons appa­rentes avec le garçon de café,

ou dans pas­sage à l’acte sexuel sous une table,

activité incongrue,

car una­nimement réprouvée à la terrasse d’une ville civili­sée, ne rêvons pas,

dans une phrase mal conçue qui erre et s’embrouille sur ma page pâle de honte,

Trahissons les coulisses des cieux. Le maître des pantins est une énorme araignée se glissant de nuage en nuage, noire pré­sence ricanant ou le plus souvent ennuyée, menant le manège humain du bout de ses huit pattes en vue d’un peu se distraire entre deux tasses de thé avec un lait de nuage, sans jamais se demander qui est au plus haut des cieux l’araignée de l’araignée-banane – le maître du maître.

 

 

[à suivre]

 

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