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Publié par Michel Castanier

Il est urgent d’être dépressif

 

 

Il faudrait s’admettre.

Ce serait aussi admettre l’âge. Et la mort. La mort origine de nos angoisses quelles qu’en soit la forme symbolique. L’échec. Le don trahi. La rupture amoureuse. La décep­tion. L’abandon.

Rien ne pré­dispose plus à se prêter beaucoup d’avenir. Il n’est plus de temps à perdre, se coucher dans l’herbe du square, les mains sous la nuque, et regarder les nuages passer. Mys­tère d’être, nouveau nom de Dieu, pas mieux en­tendu au­jourd’hui. Ce mo­ment où Saint François comprend le lan­gage des oiseaux ! Parler à mon tour le babillage des moineaux !

– Sans avoir l’air gâteux, bien sûr.

_______

 

Ainsi s’exprimait mon ami Barnabé, propriétaire des Pompes funèbres Barnabé, qui avait cru voir dans son enfance le bleu du Ciel depuis le siège d’un corbillard – une ecchy­mose – et qui ne s’en était jamais tout à fait remis. Il se peut que ces propos tenus en parta­geant mon banc favori au square Antonin, soient un instant de faiblesse, le passager renonce­ment à toute une vie d’austère rigueur intellectuelle, – mais rien n’est sûr et, connaissant ce grand sceptique, je pen­chais plutôt pour du double sens, la brûlure du second degré, des étrangetés de filou, car, ce disant, Barnabé mon­trait à peu près autant d’émotion qu’un métronome.

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Je suis né déprimé, par bonheur, me disait-il. La morosité me va comme un gant de soie. La mélancolie approfondit mon regard. Cela donne un chic fou, un air de mystère qui impres­sionne. 

Qui est cet homme-là ?

Pourquoi ce voile de tristesse dans le regard, en effet ?

Un chagrin d’amour, forcément, qu’il sera si touchant de consoler.

Ou une pensée riche de conséquences pour le genre humain.

Penchons-nous pour écouter …

______

 

Génétiquement programmé pour être un homme – haute avancée des épaules – d’où mystérieusement s’ensuit des longs bras – un front haut – mise sur orbite par Dieu d’un être en proie à sa liberté : tant de siècles de nécessité, pour un instant de choix ? – Laissez-moi rire, cher Augustule. Cette marotte de nous pren­dre au sérieux explique combien le goût de discer­ner des com­plots un peu partout est si répandue et la preuve d’une mer­veil­leuse confiance dans l’humanité. Du moins quelques-uns tien­nent la barre, ordonnent le monde, font bon usage des imbé­ciles, savent ce qu’ils disent ou taisent et comptent les sous. Ainsi la raison triomphe en dernier lieu. Cet univers bien ordonné où l’Homme aurait toujours le dernier mot témoigne d’une candeur qui enchante et d’un goût rassurant pour l’art romanesque.

Mais je vous égare. – Très tôt, dès mon berceau, je suis quant à moi assez réticent au sujet de notre avenir et j’y vois plutôt la main d’un génie malveillant secouant mon berceau du bout de sa griffe. Dès lors j’ai été tenté par la mort subite du nour­risson. Ils ont raison ces bébés, c’est mieux ainsi, c’est tou­jours mieux. Que d’autres qu’eux fassent meil­leur usage de leur seule chance d’en finir discrètement, on les comprend.

Du désordre perma­nent qui entoure ma litière

– cette agi­tation bizarre, l’alternance insensée de visages ahuris, la foire d’empoigne pour me chatouiller les petons –

je déduis, désabusé, ce qu’est le struggle of life familial et que le monde autour du doux foyer ne vaudra pas mieux,

– on en voudra à mon corps, à mon cœur, à mes orteils, les femmes comme les chefs d’entre­prises.

J’anticipe avec stoïcisme à l’état de mes langes la dégrada­tion du climat et l’inconséquence de nos dirigeants. Je pressens à l’irrégularité du passage de mon biberon au-dessus de ma tête,

sorte de lune erratique,

ce que seront les grandes famine planétaires.

Le sevrage puis la perte définitive de ma tétine me faisait esti­mer inévitable une expansion de la guerre écono­mique et la venue imminente d’un krak écono­mique mondial.

J’entrevois la montée abusive de la démogra­phie dès la nais­sance de ma petite sœur.

Qu’elle ait droit à plus de bananes que moi me fera claire­ment entrevoir ce qu’est la corruption du pouvoir et les secrètes menées du fémi­nisme.

La difficulté pour me faire comprendre,

et d’ailleurs mon désespoir quand je comprends ce qui m’est répondu,

si indigent,

m’en apprend beaucoup au sujet du futur bug plané­taire.

La police ne m’arrêtera pas pour excès d’optimisme. 

______

 

J'admets, en revanche, n’avoir pas su prévoir la pire des cohues, le plus grand imbroglio, le méli-mélo fatal, le tohu-bohu – que je laisse à nos chères épouses le soin d’imaginer, elles en con­naissent un bout. Les plus futés d’entre nous – rares – en déduisent assez tôt qu’elles auront inventé l’amour à leur seul usage. Elles approuvent et leur sourire nous dit qu’elles pardon­nent tant de jugement. – On ne peut pas tou­jours être in­telligent, cela fait souffrir. Il aurait mieux valu ne pas l’être : autant ne rien comprendre à rien, l’imbécile se satis­fai­sant de peu. D’ailleurs, la plupart des cosmologies nous le font remar­quer : à l’origine du monde il y a déjà une catas­trophe, non pas les femmes, ces malheureuses, et leur goût bizarre pour la Connaissance du bien et du mal – mais la conscience, sor­tie du Para­dis animal par la porte de service. La collapsolo­gie donne raison au Déluge : l’espèce humaine est une maladie en stade termi­nal.

 

 

[à suivre]

 

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