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Publié par Michel Castanier

conte fantastique
d’Anne Françoise Couloumy

 

Le Visiteur

 

« Nous sommes dans l’Unité U où nous passons d’un pas com­mun, porte après porte, par une en­filade de plu­sieurs salles abso­lu­ment dé­sertes et peintes de cou­leurs diffé­rentes du sol au pla­fond. Tout est à l’abandon, comme après une fuite éperdue. Les ar­moires pharmaceu­tiques ont leur verre cathédral brisé. À nouveau, remarquez en grand dé­sordre des pots de valé­riane, de bel­la­done, des fla­cons d’éther et d’opium, des kilos d’aspirine, de chloral, de co­ton hy­dro­phile, de ban­dages et des litres de mercuro­chrome... »

Ce bonimen­teur avait in­contestablement le sens du dé­tail. Né­gli­geant l’essentiel, il allait tout de suite à l’acces­soire, et l’accessoire rendait compte, par sa pertinence, de l’essentiel. Il aimait sur­prendre et, un fois surpris, il vous sur­prenait en­core, l’acrobate !

« Les me­sures de base de la psychiatrie ont été asso­ciées à un emploi pro­phylactique de la peinture murale. Ad­jointes à cer­taines domi­nances linéales les couleurs sont inhi­bi­toires ou dyna­mo­géniques, selon les tra­vaux du docteur Richard Rose. Ce dossier – qu’on a longtemps cru dispersé avec le maelström que fut la révolte des malades – est aisé­ment con­sul­table à la biblio­thèque de l’asile, cher ami, n’allons pas alour­dir une des­cription suffisamment longue.

« Bref, les cellules étaient peintes par les aliénés eux-mêmes se­lon leur af­fec­ta­tion : en vio­let pour les ex­cités, en rouge pour les dépri­més, en jaune pour les ralentis. Agissant sur l’environ­nement des pa­tients comme sur les ca­paci­tés artis­tiques qu’ils détenaient forcément mais sans le sa­voir, les em­ployant dans l’atelier de peinture et, accessoire­ment, à re­peindre les dortoirs, s’il en était besoin, l’idée était de con­tribuer par l’art et l’ex­pression li­bre à l’amélio­ration de l’état des malades.

« Sans doute leur a-t-il été donné trop de lati­tude. Les alié­nés se se­ront crus maîtres des lieux. Maîtres du monde. Maîtres de peindre tout ce qui leur pas­sait par l’esprit... Ce qui s’ensui­vit ! Il vaut mieux ne pas vous faire un dessin, l’expression est d’ailleurs d’un goût douteux dans ces circonstances. C’est sans aucun regret que nous quittons l’Unité U. Ne me perdez surtout pas de vue. »

A peine avancé jusqu’à la limite de lombre portée du mur d’enceinte, pour considé­rer l’état de la cour 2, dans l’Unité O, je ne devrais pas être si surpris.

 

[à suivre]

 

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