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Publié par Michel Castanier

conte fantastique
d’Anton Pieck [à colorier]

 

 

Les pavés entière­ment repeints d’un vert gazon uni, les portes des pavillons d’un joli jaune ci­tron. Les frondai­sons bleues des chênes confon­dues avec le ciel, le lierre rouge pro­liférant aux murs. La fresque d’un troupeau de mou­tons lon­geait le dortoir des malades. La gueule mauvaise d’un loup se profilait hors d’un buisson. Les chouettes avaient disparu de ce paysage en­tiè­rement verni.

Mon guide aussi.

Une drôle de ma­chine était abandonnée au milieu de la cour, mu­nie de roues et d’un gros réser­voir pour la pein­ture, d’un bec de fer et d’un le­vier pour l’aspersion – sans doute tirée de la re­mise du matériel pour la restauration du château. Je marchais sur les pavés avec un mélange damusement et de réticence. Le vent s’était levé, très brouillon, passant par-dessus l’enceinte, échevelant la brous­saille – du moins la végét­ation qui n’était pas encore tou­chée par la peinture. Lodeur était si forte qu’elle cor­ro­dait lair et j’en avais les larmes aux yeux.

Une goutte de peinture verte tomba du feuillage d’un pla­tane et claqua contre le dos de ma main. Je voulus m’écarter, n’y par­vins pas, ma main comme retenue par un clou, je forçai. Et m’aperçus, consterné, que je m’étais arraché la peau : un bout d’épiderme verdâtre était suspendu en l’air.

Je décollai mes se­melles des pavés en­glués de laque verte où sinuait un sen­tier jaune, et je gagnai rapidement l’ombre d’une galerie, me dépla­çant en oblique, comme le fou aux échecs.

La cour 5, dans l’Unité O, où était la loge du gardien (mai­son étroite et haute à lintérieur dune palis­sade en bam­bous, avec un carré de potager), par la­quelle je passais à cet instant, n’était pas la plus dégra­dée par le Temps : ses lourds pa­vés avaient ré­sisté à la montée de la vé­géta­tion.

Une main de vieillard soulevait un pan de rideau à une fe­nêtre du rez-de-chaussée.

Pour­quoi ne pas interroger le vieux Nestor Bourzel, gar­dien des lieux et qui, de par son grand âge, devait bien con­naître l’histoire de l’asile ? Je poussai le portillon dans la palis­sade en bambous, elle me résista et craqua, j’enten­dis en même temps le cla­quement sec de ce qui pouvait être un coup de fusil, et une gifle rouge frappa une fe­nêtre.

Nestor s’y tenait à présent collé à la vitre, sans plus d’épais­seur qu’une photographie scotchée sur le verre.

A cette vue je sursautai et consi­dérai alternati­ve­ment la fe­nêtre tachée de peinture et la course du petit Chaperon jaune au loin, le long du pavillon jaune de l’Observatoire des sai­sons dans leur in­fluence sur la folie.

 

 

[à suivre]

 

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