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Publié par Michel Castanier

conte fantastique
[de Maria Frodl]

 

Le Visiteur

 

Les sœurs s’étaient enfuies avec des hurlements sous une rafale de coups de pied au derrière.

Un peu trop facilement enfuies.

La situation devenait critique. Fallait-il envisager (j’en avais les lèvres qui devaient bleuir d’effroi) que je vivais un drame ? Un vrai ? Et pas un grand-guignol quelconque ? Qu’était-il vraiment arrivé à Timide enlacé dans les huit bras de la pieuvre ? Une machinerie actionnée de l’intérieur par une fillette en folie, vraiment ? Où était-il passé, alors ?

Nous avions regroupé quelques enfants et quitté la cour en vitesse. Des gens si­len­cieux n’étaient jamais très loin, semblant ne pas nous voir ou regarder tout autre chose que nous, épiant du haut des fa­çades, der­rière labri dun volet, ou soule­vant de la tête le pan­neau dune bou­che dégout, des yeux lumi­neux fil­trant à tra­vers lombre. Si on considérait la fixité de leur iris ce qu’ils voyaient était effrayant ou peut-être merveilleux, spectacle par­fois de même nature.

Selon les instructions de mon guide, per­sonne parmi les rares en­fants qui étaient encore avec nous ne s’ap­prochait de ces étranges spectateurs. Je fis à mon tour ce­lui que ne re­marque rien. Ni mon guide ni moi ne parlions de ce qui ve­nait de se passer et même Jenny s’était tue après que Virgile lui ait dé­signé les gosses du regard. En fait, nous cherchions à ou­blier que quelque chose se fût passé – en sorte qu’à force il ne se soit rien passé ! Absurdité ! Là-dessous, chacun imaginait sans doute avec fièvre une explication raison­nable à ce qui n’avait pas de raison. Ce que c’est que de l’homme, tout de même, pauvre petit cœur terrorisé dans la solitude d’un monde épouvantable ! J’en eu un frisson qui tourna au fou rire.

 

« Je ne sais plus très bien où j’en suis, me confia enfin Vir­gile.

Comment ça ?

La visite ! Elle ne se passe pas du tout comme j’avais pré­vu.

Et qu’aviez-vous prévu ? »

J’évitais de le regarder, soucieux de le laisser venir, mon guide ne m’ayant jamais parlé métier.

« Je pensais trouver une solution à ce que seraient vos pro­blèmes.

Et ce n’est pas le cas ?

Mon imagination ! Elle m’a débordé !

Vous n’êtes jamais responsable, hein ? »

Nous longions une longue écu­rie aux stalles vides, une ci­terne de béton et d'odieuses la­trines à claire-voie au fond dun jar­din cloi­sonné. Le pas­sage de­puis l’arrière-cour des Fournis­seurs vers les ma­gasi­nages avait l’étroitesse d’un gou­let. Virgile – peut-être pour nous changer les idées ou rassurer les ga­mins – crut bon de nous faire un petit his­torique de la situation. On dit que retourner aux occupations de son boulot est la plus saine des réactions à l’an­goisse ou à la mélancolie – mais ceux qui le disent ne doivent pas avoir de si gros soucis, ou être des tortionnaires. Et au fait, quel était mon propre boulot quand je ne fais pas le vacancier en compagnie d’un guide en-dessous de tout ?

 

 

[à suivre]

 

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