L’Hypothèse impossible VI Illogistiques des fêtes de la nuit – 20
Le Visiteur
Les sœurs s’étaient enfuies avec des hurlements sous une rafale de coups de pied au derrière.
Un peu trop facilement enfuies.
La situation devenait critique. Fallait-il envisager (j’en avais les lèvres qui devaient bleuir d’effroi) que je vivais un drame ? Un vrai ? Et pas un grand-guignol quelconque ? Qu’était-il vraiment arrivé à Timide enlacé dans les huit bras de la pieuvre ? Une machinerie actionnée de l’intérieur par une fillette en folie, vraiment ? Où était-il passé, alors ?
Nous avions regroupé quelques enfants et quitté la cour en vitesse. Des gens silencieux n’étaient jamais très loin, semblant ne pas nous voir ou regarder tout autre chose que nous, épiant du haut des façades, derrière l’abri d’un volet, ou soulevant de la tête le panneau d’une bouche d’égout, des yeux lumineux filtrant à travers l’ombre. Si on considérait la fixité de leur iris ce qu’ils voyaient était effrayant ou peut-être merveilleux, spectacle parfois de même nature.
Selon les instructions de mon guide, personne parmi les rares enfants qui étaient encore avec nous ne s’approchait de ces étranges spectateurs. Je fis à mon tour celui que ne remarque rien. Ni mon guide ni moi ne parlions de ce qui venait de se passer et même Jenny s’était tue après que Virgile lui ait désigné les gosses du regard. En fait, nous cherchions à oublier que quelque chose se fût passé – en sorte qu’à force il ne se soit rien passé ! Absurdité ! Là-dessous, chacun imaginait sans doute avec fièvre une explication raisonnable à ce qui n’avait pas de raison. Ce que c’est que de l’homme, tout de même, pauvre petit cœur terrorisé dans la solitude d’un monde épouvantable ! J’en eu un frisson qui tourna au fou rire.
« Je ne sais plus très bien où j’en suis, me confia enfin Virgile.
– Comment ça ?
– La visite ! Elle ne se passe pas du tout comme j’avais prévu.
– Et qu’aviez-vous prévu ? »
J’évitais de le regarder, soucieux de le laisser venir, mon guide ne m’ayant jamais parlé métier.
« Je pensais trouver une solution à ce que seraient vos problèmes.
– Et ce n’est pas le cas ?
– Mon imagination ! Elle m’a débordé !
– Vous n’êtes jamais responsable, hein ? »
Nous longions une longue écurie aux stalles vides, une citerne de béton et d'odieuses latrines à claire-voie au fond d’un jardin cloisonné. Le passage depuis l’arrière-cour des Fournisseurs vers les magasinages avait l’étroitesse d’un goulet. Virgile – peut-être pour nous changer les idées ou rassurer les gamins – crut bon de nous faire un petit historique de la situation. On dit que retourner aux occupations de son boulot est la plus saine des réactions à l’angoisse ou à la mélancolie – mais ceux qui le disent ne doivent pas avoir de si gros soucis, ou être des tortionnaires. Et au fait, quel était mon propre boulot quand je ne fais pas le vacancier en compagnie d’un guide en-dessous de tout ?
[à suivre]