Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Publié par Michel Castanier

conte fantastique
[Auteur non identifié]

 

Le visiteur

 

 

Il advint que cet homme qui errait seul en tous sens dans l'asile sous son parasol de peau de bêtes, passant par la cour de terre battue ou s’étaient tenus les enfants, y dé­couvrit à tra­vers la vé­gétation une em­preinte de pied parfaite­ment vi­sible. Il montra aussi­tôt les signes de la plus vive émo­tion. Il fit des tours sur lui-même, écoutant et re­gar­dant, mais il ne vit ni nen­tendit rien de particu­lier.

Il partit alors en cou­rant, mais sans aller très loin, car il re­vint brusque­ment sur lui-même, pour faire le tour de lempreinte, agran­dis­sant chaque fois le cercle de ses re­cherches minu­tieuses, nez bas dans les fourrés qui par­semaient la cour, mais sans décou­vrir dautres traces de pas. Il n’était plus alors possible de suivre le circuit et la con­duite in­sensée de cet homme sur le terri­toire de lasile. Il était visible­ment très agité, sarrêtait tous les trois pas pour re­gar­der der­rière lui ou se dissimuler derrière un arbre. Ces arbres mêmes parais­saient linquiéter, il ne les ap­prochait ja­mais sans leur par­ler dune voix douce, puis, sapercevant de son er­reur, il sen ser­vait de ca­chette, une moitié de son visage se montrant avec une ex­pression où la décep­tion se mê­la bien­tôt à lanxiété.

 

« Vos conclusions ?

Amères, chuchota Virgile. Je ne sais si vous l’avez remar­qué, nous sommes enfermés dans un asile.

– Très amusant. »

Le fou avait dû prendre lhabitude de discourir seul, il ne cessait de sinterpeller avec co­lère sil était fâ­ché de sa lâ­cheté ou de sentre­tenir le plus sou­vent dinterminables ré­flexions, toujours prudentes, tou­jours in­quiètes, toujours mesu­rées. Il remarqua enfin, avec beaucoup détonnement, une grappe de spectateurs endormis. Dabord très joyeux, il leur parla, les se­coua, alla même jusqu’à les pincer, mais bientôt sécartant, c’est lui-même qu’il pinça au bras. Il parut croire qu’il rêvait qu’il y avait là des gens, rêvant de lui peut-être, et dès lors il ne leur prêta plus aucune atten­tion.

Agitant ainsi des pen­sées qu’il ne communi­quait qu’à son bon­net de loutre, il saperçut avoir tourné en rond dans cette cour où lempreinte de pas dans la terre lui avait fait une si forte im­pres­sion. Or, une idée lui vint, il se déchaussa et plaça une de ses san­dales dans la marque pour la mesu­rer : elle sy adaptait par­fai­te­ment. Il s’était effrayé lui-même et sans cause. Son vi­sage séclaira, mais peu après il sassombrit étrange­ment et quelque chose de triste le voila : il avait pris la mesure de sa so­li­tude.

 

Depuis une fenêtre de latelier où nous étions cachés, je re­gardais le fou séloigner et je fus saisi par limpression dirré­médiable défaite qu’expri­maient son dos main­tenant af­freusement voûté et la façon dont il avait plié son para­sol et le laissait traî­ner à terre sans plus aucun souci du bruit qu’il ferait.

« Cest quelqu’un du château. Loncle Morse …

Ouais. Et ce dingue se prend pour Robinson Crusoé.

Il est Robinson Crusoé. »

 

[à suivre]

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article