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Publié par Michel Castanier

conte fantastique
[de Peter Christen Asbjornsen]

 

Le Visiteur

 

N’aurait-on pas dit que sa nudité la rendait agile ? Je repris une respiration nor­male. Je connaissais par les ragots fu­tiles de Virgile l’aïeul de Gertrude (son héros dans la ga­lerie des grands an­cêtres mythi­ques que se créent ceux qui ont linfor­tune davoir une famille). En pleine guerre laviateur an­glais Walter Green « le ba­ron vert dans son cou­cou den­fer », comme il aimait à dire était des­cendu en para­chute dans la cour 7. Il avait atterri sur le dos dune lin­gère de l’asile. Ils s’étaient disputés pas mal sur la fa­çon de re­plier le pa­ra­chute. Cela n’avait pas fait un pli : ils s’étaient aimés, à force dincom­préhension, et ils avaient eu Guenièvre qui eut Brunehilde qui eut Gertrude de nos jours. Un tel li­gnage avait confirmé Gertrude dans son idée qu’elle n’était pas tout à fait de ce monde : conçue à travers sa mère par un dieu des­cendu des régions éthérées, elle était pour peu de temps à l’Office et méritait mieux comme époux qu’un chauf­feur de maître.

L’Office ne se serait pour rien au monde risqué à réveil­ler de son rêve une somnam­bule. J’en dé­cidai autrement. Une idée me vint ! Il y avait bien des retraites où la perdre dans l’asile comme au château : portes dérobées, souter­rains secrets, oubliettes, culs de basse fosse, ravins épi­neux …

Je courais donc, et à toute allure, bien que j’eus horreur de ça.

Mon rire fusa dans le si­lence qui oc­cu­pait seul la dispo­si­tion des cours et des pa­vil­lons. En fait, ce n’était pas un rire si heureux. Cette idée amusante de souterrains cachés me rappelait quelque chose de confus, ré­veillait un ma­laise, éclai­rait du bout du faisceau d’une lampe de poche une absence dans ma mémoire.

 

Je me réfugiai dans un cou­loir obs­cur, où m’accrou­pir dans l’ombre. Une flopée de nuages ora­geux arrivait du sud, où était la mer, d’après mes calculs. Lombre gagna la cour 1, la pleine lune sabaissant sous les toits de lasile. On tapota du doigt derrière mon épaule, un pe­tit coup. Sans doute une goutte deau, sans doute le plafond du cou­loir avait-t-il une fuite, invi­sible dans lobs­curité, mais la fuite pré­ci­pita des tas de gouttes qui crépitaient maintenant sur ma tête. Soudain ce fut un véri­table coup de poing dans mon dos.

« Soleil ! »

Gertrude était là, rieuse et ravie.

« À ton tour. »

La malheureuse, très éprou­vée, se croyait vraiment dans un jeu. Et pour­quoi pas ?

« On va jouer à cache-cache, Gertrude.

Chouette !

Ferme les yeux et compte jusqu’à cent. »

Elle passa longuement l’intérieur de ses doigts sur la pulpe de ses paupières et les ferma. De fait, me dis-je, ce que nous vi­vons res­semble à l’amour, d’après ce que j’en sais.

« J’ai une petite faim », dis-je avant de courir droit devant moi.

 

 

 

[à suivre]

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