ORION – XXV – Un petit théâtre de province 2
3
Sara était seule en scène, assise sur une chaise d’osier si basse qu’elle avait les genoux sous le menton. Elle ne bougea pas d’un long moment. Je ne suis pas critique théâtral mais il me sembla que l’acteur principal était le silence.
Claire émergea de l’obscurité d’un couloir. Sa rousseur était une lumière. Elle portait une chemise de nuit blanche à manches longues, du pilou pour pensionnat catholique. Elle avait les pieds nus, un lourd collier au cou que je reconnus comme la chaîne de la Harley Davidson de Zaza. Elle s’avança, les bras raidis en avant, comme on imagine les fantômes ou les somnambules. Une des mains tenait une coupe de champagne. L’autre, une faux qu’elle avait dû trouver dans la cabane du jardinage. La lourdeur de la chaîne lui basculait le buste en avant, l’effet comique en était émouvant, je ne le croyais pas calculé.
Le spectacle n’était pas d’une folle originalité, pour l’instant, mais la folie ne tardait jamais dans l’Affaire de la pommeraie.
Claire entama une mélodie très doucement. Je reconnus St-Cécile Asylum. Sara releva la tête, un peu inquiète ; peu à peu manifestant une joie effrayée, elle se redressa sur son siège. Elle n’aurait pu tendre les bras vers l’Apparition : ils étaient entravés par une camisole de force. Elles avaient sans doute bricolé un gros pull angora de Fernand avec des sangles.
4
Je n'ai pas dit qu'il y avait un mannequin allongé par terre. Une sorte d’épouvantail bourré de paille, habillé de bric et de broc, un couteau à pain planté dans son cœur de paille. Sara avait à présent tout d’une illuminée en voyant la Dame blanche venir à elle. Sara jouait vraiment très bien l’illumination. La chanson s’est arrêtée. Le fantôme a bu dans la coupe, s’est penché et à baisé la bouche de l’illuminée. Longtemps. Les oiseaux nourrissent ainsi leur portée. J’étais très embêté, j’allais crier Pouce ! c’est plus du jeu, quand l’oiseau blanc s’est écarté.
Il m’a jeté la coupe au visage.
Le corps de Sara a été tordu par une convulsion, elle s’est débattue contre quelque chose, elle a eu le dessous. Elle glissait de sa chaise à la renverse. Une Main l’appuya au sol, la maintint sur le dos. Elle peinait à respirer. Elle frappa les planches de sa paume gauche à plusieurs reprises, elle se crispa, le corps a eu une reptation rapide pour s’échapper, et n’a plus bougé.
L’illuminée s’était éteinte.
J’étais stupéfait, je n’avais vu personne jouer si bien la mort par empoisonnement. Claire a tourné le dos et s’est enfoncée dans l’ombre de l’arrière-scène où elle s’est confondue avec la nuit, selon son rôle, la faux à la main.
Silence.
J’ai applaudi. Applaudi. Applaudi.
Quand je me suis trouvé idiot d’applaudir tout seul sans que personne vienne pour saluer, j’ai attendu dans le silence.
– Bon. Ça suffit. Et maintenant ?
[à suivre]