Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Publié par Michel Castanier

 

ÉVIDEMMENT ALEX GRANDMAISON NE S’EST PAS TROUVÉ PRESSÉ DE S’EN ALLER

– J’ai pris mon temps, puisque mon médecin m’avait ordonné ce séjour aux bains de mer. Je pensais qu’être là ou ailleurs (je veux dire à la station balnéaire plutôt qu’en n’importe quel point du littoral sous le soleil du Midi) ne comptait plus beaucoup, bien sûr, puisque Bénédicte était partie. Alors, pourquoi quitter à mon tour la chaude lagune quand je pouvais demeurer à l’ombre des pyramides, où je n’étais pas plus mal, somme toute, où j’étais bien ?

Mais le poète concéda après un silence qu’il n’avait évidemment pas été tout à fait maître de son comportement…

 

(… De longues migrations de parasols sous les coudes, de bouées, de livres de plage, de paniers, de cerfs-volants et de radios hurlantes glissent continuellement le long du front de mer comme une frise animée d’un perpétuel mouvement.

Les familles rentrent, la peau échauffée par le soleil, avec le ventre creux et les membres fatigués.

L’exode familial diminue dans le soleil couchant.

Alex prend un apéritif avant de dîner d'une salade de crevettes sur une des terrasses fleuries du port par une soirée tintée de brumes.

Les courts de tennis derrière le rang des cafés du bord de mer ont été délaissés.

Une petite colonie d’enfants, que les moniteurs dirigent vers leur cantine, longe la table d’Alex.

Il n’y en a pas un qui ne le dévisage comme s’il était une merveilleuse curiosité.

Il y a d’ultimes claquements des portes des vestiaires et des douches.

La plage est déserte, grise.

Le bruit des vagues est beaucoup plus clair.

Il imagine ce soir-là – son imagination agit avec les à-coups d’un manège démarrant dans sa glissière – ce que sera le soulagement de Bénédicte à sa vue (ainsi, il sera resté à l’attendre ?), la surprise heureuse, les multiples incidentes tendres et gaies de leurs futures retrouvailles – mais la douceur trompeuse de sa rêverie se gâte peu à peu.

C’est la troisième de ces nuits où il attend l’heureuse surprise. Il comprend sans peine (sans aucune peine !) qu’elle ait eu besoin d’un répit : du recul que lui aura apporté sa confrontation avec le Saumon, son regard accommodant enfin sur cet homme buriné, ridé par le sel marin, ce biscuit sec – et Alex pince son front entre deux doigts.

N’aurait-il pas dû lui poser franchement le problème de la nature exacte de leur propre relation ?

Les citronniers répandent un parfum acidulé dans les nombreux courts grillagés sur lesquels, quittant le front des nuages, le biplan du toulousain pique en hurlant, paniquant des mouettes qui s’éparpillent.

Alex pense avec lassitude qu’on ne pose jamais les vraies questions, ou qu’à soi-même et bien trop tard, quand il n’y a plus personne pour y répondre. Il est à présent le joueur de tennis qui tourne perpétuellement autour du filet pour se renvoyer la balle…)

 

[à suivre]

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article