1001 VIES (504) : SOLANGE CREPON – 31
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Narines
Une petite personne s’était assise à la terrasse du Hasard, et insensiblement, les plus hardis se rapprochèrent. Nous savions que le cirque Zavatta était des nôtres et que tout est dans tout.
– Dans les débuts, nous dit cet homme, je croyais parfois que les femmes me regardaient de haut et je m’en trouvais incongru, mais sans m’y attarder. Quand j’ai compris cette méprise, elle ne m’égara plus.
Nous écoutions avec une curiosité légitime mais une certaine méfiance. Nous connaissions la réputation des nains auprès des filles, sans vouloir y croire, ce serait trop injuste.
– Il est rare que je sois plus grand qu’un être humain.
– Non ?
– Dès mon enfance, j’ai éprouvé qu’une immédiate tendresse se mêlait à mon instinct protecteur pour celle-là même qui se comportait au-dessus de ma tête comme une sorte d’ombrelle bienveillante quoique distraite. Cependant, messieurs, un ressort d’agacement m’amenait à secouer assez souvent ma Géante et à la houspiller volontiers de toute ma petite nature nerveuse et vive, avant de refermer sur elle la porte d’une chambre.
Le groupe des femmes, mené par madame Jolie, épouse Eros, s’était dangereusement rapproché.
– Vous avez des narines ! De ces narines ! dit la petite personne à madame Jolie, qui succomba à son instinct maternel et serra le nain sur sa grosse poitrine.
Ennui, Inanité et Vanité
L’ennui, l’inanité de tout et la vanité, ces monstres sacrés de l’Occident, nous valent des agitations. Imaginons leur absence miraculeuse. Quel grand silence se fait, quel apaisement sur terre ! Plus de ce boucan qu’on dit conversation, où ne s’entend rien, tellement moins de sexualité, juste ce qu’il faut, un plaisir gentiment partagé, la pauvreté admise, amicale, des gestes rares mais sûrs, des mots vrais. Finies les hystéries exhibées, la pensée fait corps ou se tait. Joie de la délicatesse. Joie de la courtoisie. Le Souffle divin de la grâce murmure, une brise sur les eaux.
Trop occupés de nous-mêmes, nous n’écoutons plus cet affleurement. À peine est-il chantonné à notre oreille, la société nous siffle et nous accourons, serviteurs du Néant.
[à suivre]