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Publié par Michel Castanier

roman humour satire sotie
[Auteur de l’image introuvable]

 

 

3


 

Mélancolie


 

Je regardais en l’air depuis le comptoir du Bizarre. Les toits autour de la Maison carrée étaient des terrasses fleuries ou composés de tuiles inclinées. Un petit nuage, rougi par un rayon de soleil couchant, glissa dans le re­flet de la vitre étroite d’un pignon. Ce nuage m’a rendu fou de nostalgie.

Nous sommes à peine ébauchés du chaos, Pellerin.

C’est pourquoi je ne sors jamais sans avoir passé mes chaus­settes en soie violette de chez Gamarelli, le tailleur du pape.

Le patron rééquilibra une gravure de l’Ere industrielle qui repré­sentait les chemins de fer de la gare de Lyon, vus depuis la porte-tambour du Train bleu.

Madame Ines leva la tête, disjoignit les doigts du manche de son balai et désigna le tableau.

J’ai jamais osé vous dire. Vous aimez cette belle image triste. Vous avez travaillé aux chemins de fer ?

Monsieur Célestin eut un geste imprécis. Ils regardèrent ensemble les panaches de fumée en suspension et les mouchoirs qui flottaient aux fenêtres des wagons.

On a un repas de mariage pour demain, chère Ines.

À trois reprises c’est le même effet de souffle, dit Balibar dans leur dos.

Pour un mariage ?


 

Un monde cruel


Quand Balibar, un peu pâle, nous apprit l’attentat du jour, les conversations effarées se généralisèrent dans un grand brou­haha confus, personne n’écoutant qui que ce soit. Les bis­trots sont d’importants ré­seaux ferro­viaires aux voies sans nombre où circulent dans tous les sens et sans le moindre aiguil­leur de longs convois d’opinions pertinentes.

Je défriche.

Une fois la commotion nerveuse passée, l’insensibi­lité devant l’horreur de l’attentat se propage assez vite, la profonde indif­fé­rence, presque ani­male.

A croire que seul le silence est hon­nête.

Le roi est nu.

Mon père bossait comme chef de gare, ma bonne Ines. Il a eu le pied écrasé dans un aiguillage.

Oh !

Un attentat qui fasse « peu » de morts au Canada ou à Mar­seille nous touche bien plus que les mas­sacres dans les pays musulmans.

On dirait que le thermo­mètre de notre émotion dit bien mieux que notre bonne vo­lonté – im­placable­ment – comme l’Occidental a diffé­rencié de tout temps la qualité de la quantité.

La gangrène s’est prise à sa jambe. Il n’a pas voulu être coupé, comme il disait. La tristesse lui est montée au cœur.

Ah ?

Jusqu’à présent, à ma connaissance, un seul être au monde a été touché par une mé­téorite : une obèse hypo­con­driaque ali­tée sur les bords du Potomac.

Il est vrai que la ville est un important centre de triage pour la région, monsieur Célestin.

Et le soir de l’attentat ce n'est pas mieux, ce sont les mé­dias et le Grand Spectacle et l’excitation nerveuse et la tour Eiffel illu­minée aux couleurs de la France !

Nous sommes pris au piège d'une perversion générali­sée.

Un radio-élément, le tellure 128, a une durée de vie de 1,5 10 puissance 24 années qui représente cent mille mil­liards de fois l'âge de l'univers.

Le bigbang est un pet sur la toile cirée du Temps.

Ce serait à devenir mystique si on était capable de voir long­temps jusqu’à l’os.

Ce n’est pas dans nos cordes.

Le train­train de l’inattention bienveillante est de retour.

Je prends chaque soir un bain de petit lait.

Le fils du maire a passé commande d’un aïoli, Ines. Vous m’aiderez à la cuisine ?

Madame Ines rajusta l’emplacement du cadre et ce fut une réponse.

On se salua et les dos se dispersèrent dans la nuit de la ville.


 

Monochromie

 

À chaque instant chacun se remémore qui il est – l’es­prit fai­sant obli­geam­ment le tour complet du corps, or­teils com­pris, pour nous re­constituer tels que nous sommes ou du moins nous connaissons. L’être hu­main à tout mo­ment se re­monte comme une montre et donne l’heure de ses souve­nirs.

Nous ne cessons de nous recon­naître nous-mêmes. Plus ou moins. Nous sommes constitués d’une multitude d’identités dans les­quelles nous pré­levons cons­tamment pour répondre aux sou­cis du présent, plus rare­ment aux besoins de notre survie.

Ces identités sont des nuances de soi qui présentent généra­lement (à moins de mala­die psychique) assez peu d’écart. Une mono­chromie dont Dieu seul goûte­rait les teintes. Nous ap­prenons sans cesse à nous choisir. Nous sommes une réponse. Cette der­nière agit en interaction avec une foule de ces ré­ponses sans cesse changeantes que sont les autres. Ce dis­positif s’appelle la société. Il se doit d’être harmo­nieux mais se dé­règle en guerre civile si une réponse de­mande : quelle est la question ?


 

[à suivre]


 

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